Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/535

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

embellis, que par la richesse des partisans, pirates d’impôt et trésoriers de l’ancien régime : soit que les gens de finance aient fait très vite, dans leur descendance mâle, souche de gentilshommes et de marquis qui achetèrent ces châteaux ; soit qu’ils y aient été représentés par leurs filles, devenues marquises ou duchesses, et, dans ce cas, leur nom roturier pouvait ne pas être sur la porte, mais leur sang coulait dans les veines des occupans de vieille extraction. Ceux-ci eurent à s’en féliciter ; car ce sang était souvent de qualité supérieure, sang d’intelligence et de volonté. La fille du nouvel enrichi n’apportait pas seulement à son mari de l’or pour conserver une habitation qui lui échappait, voire pour recouvrer celle des ancêtres qui avait précédemment passé en d’autres mains, — j’en pourrais citer des exemples ; — elle transmit plus d’une fois à sa race, par atavisme, quelque peu de l’énergie ou de l’habileté que le père avait dû posséder, pour réussir.

Pour qui avait le moyen de l’acquérir, un château n’était pas seulement une propriété, mais une dignité. On connaît l’histoire de Piron, assis sur un banc dans une promenade devant la statue d’un saint qu’il ne voyait pas, mais que les passans voyaient et à qui ils ôtaient leur chapeau. Piron rendait le salut, le prenant pour lui et se félicitait d’être devenu si populaire. Il ne se retourna que fort tard. Beaucoup d’hommes, que le hasard assoit ainsi devant la statue d’un saint, ne se retournent guère et meurent sans savoir que les honneurs dont ils jouissent sont rendus à leur dignité, au fauteuil sur lesquels ils étaient assis, à leur maison, à leur habit, c’est-à-dire à l’image qu’ils ont derrière eux. Ceux-ci sont des sots. Les sceptiques savent que les dix-neuf vingtièmes des passans saluent, non la grandeur et le mérite, mais seulement les marques extérieures par où l’on a coutume de signaler au vulgaire le mérite et la grandeur ; aussi s’appliquent-ils dans la vie à s’asseoir toujours devant la statue d’un grand saint. Ceux-là sont des sages.

Qu’ils fussent sages ou sots, les financiers du XVIIIe siècle étaient sollicités chaque semaine, en ouvrant leur journal, par les offres de vente d’une « terre ayant titre de comté, » ou d’ « un joli marquisat dont la seigneurie s’étend dans sept paroisses, avec beau château, grand parc, bosquets, belles eaux, » etc. Quoi de plus engageant qu’un placement joignant le brillant à l’utile, comme celui du « château de Leugny, près d’Auxerre, de dix,