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J’aime ces vieux livres, — sans parler de l’intérêt documentaire qui s’attache à savoir les modifications apportées par les civilisations successives, — parce qu’ils nous révèlent la manière de sentir de nos aïeux, et surtout parce qu’ils sont les plus délicieux compagnons de route. Jamais ils ne se fâchent de nos railleries ou de nos impatiences. Quand, par hasard, nous y lisons une impression analogue à la nôtre, notre satisfaction est si communicative qu’ils nous semblent prendre part à la joie de cette rencontre. Lorsque, au contraire, nous les trouvons tout à fait étrangers à nos idées et à nos goûts, quel délicat amusement ! Rien n’est plus curieux que de constater combien, à trois siècles seulement de distance, les sensations artistiques peuvent n’avoir aucun rapport. Montaigne, par exemple, dans les lignes qu’il consacre à Plaisance, ne dit pas un mot du Palais municipal, qui me semble aujourd’hui la chose la plus digne d’être notée. Et ici, à Borgo San Donnino où j’arrive, il ne remarque que les murailles dont le duc de Parme faisait alors entourer la ville et la marmelade de pommes et d’oranges qu’on lui-servit à déjeuner.

Et pourtant, comment ne pas donner une heure à cette cathédrale de San Donnino, si séduisante avec sa belle façade à trois portails ornés de lions et de bas-reliefs ? C’est l’une des plus intéressantes de cette série d’églises romanes qui se trouvent en si grand nombre en Lombardie et dans les provinces voisines qu’on qualifia de lombard le style qui les caractérise. Toutes les villes de la plaine du Pô : Milan, Pavie, Crémone, Vérone, Ferrare, pour ne citer que les principales ; toutes les cités qui s’échelonnent sur la Via Emilia : Plaisance d’où nous venons, Parme, Modène, Bologne où nous allons, toutes ont, comme Borgo San Donnino, de vieilles cathédrales qui s’élevèrent au cours du XIIe siècle. Contrairement à ce que certains avaient pensé, — attribuant des dates trop anciennes à quelques-uns de ces édifices, — ce style lombard n’est qu’un dérivé, qu’une variante du style roman. Plus exactement encore, cette architecture n’est qu’un reste de l’art romain transformé par le nouvel art roman qui fleurissait alors si magnifiquement en France. Mais, comme en toutes choses, les Italiens surent, en imitant, rester originaux et leur effort porta sur la partie extérieure du monument, notamment sur la façade qui devint un travail décoratif dont les détails, le plus souvent