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faut une foi à ces idéalistes, une foi enthousiaste. Et désormais à quoi peuvent-ils croire ? Le passé, le présent, l’avenir, ils ne trouvent, rien où ils se puissent prendre, rien à quoi leur âme veuille se donner. Le passé ! C’en est fait. Les vieilles traditions sont mortes ; la tempête révolutionnaire les a dispersées et mises en pièces. On ne peut aimer de toute son âme que ce que l’on croit éternel. Et le moyen de croire à l’éternité de ce qu’on a vu disparaître en un jour. Le nouveau maître de la France relève bien le trône et l’autel. Mais cette restauration a des mobiles utilitaires. On ne croit plus au droit divin, on rétablit seulement des institutions qu’on juge nécessaires au bon ordre de la société. Et c’est bien ainsi que l’entendent les nombreux. Le gouvernement et la religion sont à leurs yeux une sorte de société d’assurances qui leur ouvre l’avenir et la tranquille jouissance de leurs biens : Et voilà un genre d’enthousiasme qui fait horreur à l’idéaliste ; il ne peut partager cette dévotion, et si son penchant le porte à adorer les dieux du passé, il n’entrera pas dans les temples nouveaux où on les sert, il ira les adorer à l’écart, dans quelque vieille chapelle ruinée, dont un lierre grimpant a presque obstrué l’entrée. Et s’il se tourne du côté de l’avenir, qui trouve-t-il qui réponde à ses instincts ? Il voit que le résultat de tant d’efforts n’a mené qu’à un compromis, et rien ne répugne davantage à un idéaliste. Tout ou rien, est sa devise. L’idéal a prouvé son impuissance ; il a fait banqueroute, son royaume n’est pas de ce monde. Et ceux qui y croient, qui sont hantés de ce rêve et qui ne peuvent y renoncer, sont isolés ici-bas ; car ils ne trouvent rien, ni dans les choses, ni dans les hommes, qui corresponde à leur chimère. Et nos idéalistes se sentent seuls. Ils vivent dans une société égalitaire où tous les groupes naturels ont été détruits et qui, pour les achever, leur dit : « Va où tu veux, fais ce que tu veux, tu es libre, tu peux arriver à tout, tu n’as qu’à vouloir et à pouvoir. Tu n’as point de place fixe, tu auras celle que te feront tes talens, ta volonté. »

Mais l’idéaliste se rend compte que cette invitation est un leurre et que les habiles seuls en profitent, et il ne sait que faire de cette liberté qui lui est donnée. Il ne veut rien, il ne peut rien vouloir, car il voudrait l’infini et il a appris par expérience ce que valent ces volontés-là. Nulle part la jeunesse du commencement du XIXe siècle n’a été mieux peinte que dans