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semble même en un sens admettre la conception d’un Dieu assisté de ses anges et de ses saints et combattant l’esprit du mal. Car dans l’ordre pratique la seule question qui se pose est de savoir comment l’existence du mal peut être diminuée. James conçoit la puissance divine comme ayant à lutter contre des tendances contraires et l’homme comme devant participer à cette œuvre. Il s’est exprimé sur ce sujet avec une complète franchise : « Tout ce que je sais, tout ce que je sens, tend à me persuader qu’en dehors du monde de notre pensée consciente, il en existe d’autres où nous puisons des expériences capables d’enrichir et de transformer notre vie… Le monde réel est autrement constitué, bien plus riche et plus complexe que celui de la science. J’ai donc à la fois des raisons pratiques et des raisons spéculatives de tenir à cette croyance particulière. Qui sait si la fidélité de chaque homme à ses humbles croyances personnelles ne peut pas aider Dieu à travailler plus efficacement aux destinées de l’univers ? »

Dans le monde ainsi conçu comment va donc se conduire l’homme ? C’est ce que William James s’est attaché à expliquer dans une partie de ses ouvrages qui passe, et parfois non sans raison, pour être hardie jusqu’au paradoxe. Il a mis à répondre à cette question un souci tout particulier, non pas seulement parce qu’elle était la conclusion nécessaire de ses méditations, mais aussi parce qu’il est par nature préoccupé de morale. On a même pu se demander si les maximes qu’il tirait de sa philosophie pour la conduite de la vie n’étaient pas les inspiratrices mystérieuses de toute cette philosophie ; on a pu se demander s’il n’y avait pas peut-être à son insu, au fond de toutes ses recherches, le désir de trouver et de justifier des règles pratiques. James est instinctivement préoccupé des hommes et de l’avenir du monde ; c’est chez lui affaire d’éducation, — il était le fils du Rev. Henry James presbytérien, puis swedenborgien ; c’est aussi un penchant, une sympathie, un élan généreux, que ses adversaires ont été les premiers à reconnaître.

Le pragmatisme, comme doctrine morale, tend à nous donner une notion nouvelle de la vérité. Il n’est plus question pour William James de conformer ses actes à certains principes préétablis, de régler le réel sur les idées abstraites, de penser, puis d’agir. Il renverse les termes. Puisque la logique et la