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D’avoir, ô Mélitus, avec eux écouté
Mon conseil corrupteur d’aimer la vérité. »

Déjà ces simples mots d’une force indignée,
Mais parlés simplement, ainsi qu’une cognée,
Faisaient sauter le bois de l’accusation.
D’autres suivaient bientôt d’un effet aussi prompt.
« Les Dieux, dit-il, comment pourrais-je n’y pas croire,
Moi qui crois aux Démons, et dont la propre histoire
Fut toujours dirigée, aux momens anxieux,
Aux tournans indécis, par la voix de l’un d’eux,
Qui me suit dès l’enfance et qui se fait entendre,
Non pour me suggérer ce qu’il faut entreprendre,
Mais bien pour empêcher ce que j’ai résolu ?
Et ces divins conseils ont toujours prévalu.
C’est d’après cette voix écoutée et suivie
Que j’ai réglé toujours, et règle encor ma vie.
Comment, si les Démons sont les enfans des Dieux,
Nier qu’il est des Dieux ? Diras-tu, si tu veux
Employer, Mélitus, des images profanes,
Qu’il y a des mulets nés de chevaux et d’ânes,
Et qu’il n’existe point d’ânes ni de chevaux ?
Et voilà les raisons de quoi tu te prévaux
Pour m’accuser ici d’être impie, incrédule !
Tu te rends, Mélitus, chétif et ridicule,
Toi qui dis à la fois : « Socrate reconnaît
Et ne reconnaît pas les Dieux, » car ce qui naît
D’un être est le meilleur témoin que l’être existe.
L’excellent Mélitus pour Mélitus m’attriste. »

Pour la Loi qu’il avait jusqu’à présent suivie,
Il était prêt encore à déposer sa vie.
Il n’apporterait point, comme il se fait souvent,
Pour attendrir les cœurs d’un spectacle émouvant,
Ses parens, ses enfans, dont les larmes versées
Pourraient vers l’indulgence incliner leurs pensées,
Encor qu’il eût trois fils : l’un d’eux adolescent,
Les autres, tout enfans. Car il n’est point décent
Qu’un juge, ayant prêté son serment, outrepasse