Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/956

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

serait cependant injuste de qualifier de simple pronunciamiento le mouvement qui vient de se produire à Lisbonne. Les pronunciamientos espagnols étaient faits jadis par un homme et à son profit : il n’en a pas été ainsi en Portugal où on sait à peine les noms des officiers de la marine et de l’armée qui ont tiré les premiers coups de canon et de fusil, et où le gouvernement qui s’est aussitôt formé est purement civil. Il l’est même à un degré rare et propre, peut-être, à inspirer quelques préoccupations. Les hommes qui le composent sont très honorables ; républicains de la veille et de l’avant-veille, ils ont le droit de flétrir les abus de la monarchie qu’ils ont renversée ; ils n’y ont point participé ; leurs vies sont intactes, leurs mains sont pures. Mais ils sont terriblement intellectuels ! S’ils ont les avantages d’avoir toujours été dans l’opposition, ils en ont aussi les inconvéniens, et on se demande si leur esprit politique, formé dans les livres, montrera du premier coup le sens pratique qui se forme plus généralement dans les affaires. La plupart d’entre eux sont des professeurs et des conférenciers. Tel est le cas, par exemple, du chef même du gouvernement provisoire, M. Théophile Braga, qu’on recommande et qui se recommande lui-même à la confiance publique en disant qu’il est positiviste. Ils le sont tous d’ailleurs, et la révolution portugaise tient à honneur de s’être inspirée du plus pur esprit d’Auguste Comte. Mais qu’en aurait pensé celui-ci ? Nous doutons, à parler franchement, qu’il eût été lui-même un grand politique, et sans doute ses doctrines n’empêchent pas de le devenir, mais elles ne suffisent pas pour cela. Aussi n’attacherions-nous aucune importance à cette prétention chez M. Théophile Braga et ses collègues, si eux-mêmes n’y en attachaient pas une si grande.

Nous possédons à Paris un républicain portugais, que tous les reporters se sont empressés d’aller faire parler, ce à quoi il s’est prêté avec une parfaite complaisance : c’est M. Magalhaës Lima, qui parait être un excellent homme, sincère et candide. Dès le lendemain de la Révolution, il a fait entendre qu’il en était le représentant et il a mis à sa porte le drapeau de la nouvelle République. Comment les journalistes n’auraient-ils pas accouru ? M. Magalhaës Lima leur a ouvert son cœur et leur a fait connaître ses vues sur la politique intérieure et extérieure de son pays. En ce qui concerne la première, il a dit que le Portugal avait besoin de six mois de dictature, après lesquels on convoquerait les électeurs pour nommer une Constituante : M. Joâo Franco n’en demandait pas tant. En ce qui concerne la seconde, M. Magalhaës Lima, promenant ses regards sur le monde