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Cependant ni cette éloquence nouvelle, ni l’empressement des auditeurs n’auraient suffi à fonder la réputation des avocats d’assises. Pour jeter leur nom, pour répandre leur parole à travers la France entière, ils trouvaient un allié, nouveau lui aussi, le journal. Depuis les premiers comptes rendus de l’année 1789, aux audiences du Châtelet, la chronique judiciaire, née avec la publicité du débat criminel, ne cessa d’étendre son succès. La Gazette des Tribunaux parut ; dans les journaux politiques, une rubrique s’ouvrait aux procès, surtout aux procès d’assises. Quelques causes célèbres lui donnèrent rapidement l’importance qu’exigeait la curiosité des lecteurs. On a tort de s’étonner aujourd’hui quand on voit, dans Paris, les passans se précipiter sur les journaux, les jours où se juge une affaire retentissante. Leur curiosité n’était pas moindre, voilà, soixante-dix ans et plus. Seulement, pour la satisfaire, à défaut de télégraphe et de chemins de fer, il fallait s’ingénier ; quand le procès se plaidait en province, les grands journaux établissaient des relais de poste, pour avoir plus tôt la « copie » de leurs chroniqueurs : c’est ce qu’ils firent pour l’affaire Fualdès, pour l’affaire Lafarge ; et le public suivait les débats avec la même avidité qu’il devait mettre à lire les Mystères de Paris et les romans de Dumas père. Il faut prendre ce besoin du public d’être informé sur les grands procès, et le zèle des journaux à le contenter, comme des faits, conséquences inévitables de la publicité du débat, causes de quelque mal et de beaucoup de bien. Le mal est d’attirer des curiosités qui s’inquiètent volontiers des crimes les plus atroces et des plus étranges perversités. Le bien est d’associer en quelque manière le pays tout entier au jury qui juge le procès, de telle sorte que les chances d’erreur judiciaire soient aussi réduites que possible, et que l’erreur, si elle se commet, soulève une réprobation générale. Quant aux avocats d’assises, la chronique judiciaire mettait à leur disposition tout l’éclat, tout le retentissement de la publicité. Ils lui ont dû d’être projetés en pleine célébrité. Elle ne parviendrait certes pas à faire réussir des avocats sans talent, pas plus que des critiques élogieuses ne peuvent assurer le succès d’une mauvaise pièce. Mais elle est indispensable pour fonder cette grande, cette immense notoriété qui, seule, frappe la foule. En ce sens, il paraît assez évident que la Cour d’assises d’abord, et la chronique judiciaire surtout présentent à cette foule une image