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funeste à elle-même et qui troublerait la paix du monde. Il n’est pas rare d’entendre, parmi les plus jeunes des Jeunes-Turcs, surtout parmi les officiers, des propos étranges et inquiétans ; il en est qui se croient revenus aux temps de Bajazet ou de Soliman le Grand et qui parlent de reconstituer l’ancien empire des Osmanlis en Europe, en Asie et dans la Méditerranée ; aussi attendent-ils avec impatience la résurrection de la marine turque qu’ils regardent comme l’instrument nécessaire de leurs ambitions grandioses. Que la Turquie réorganisée souhaite de posséder quelques bateaux cuirassés qui lui permettent de tenir tête, par exemple, aux Grecs, rien de plus naturel, mais que, dans l’état actuel de ses finances et de son développement économique, elle pense à redevenir, comme au temps de Barberousse, une puissance navale capable de jouer un grand rôle dans la Méditerranée, c’est un rêve dont elle sera sage d’ajourner la réalisation. Elle a des œuvres indispensables et urgentes à accomplir avant de s’engager dans les voies de l’impérialisme où elle rencontrerait, d’abord, la faillite.

L’une des plus nécessaires est la réforme, ou plutôt la création de l’administration. L’État turc n’était jusqu’ici qu’un minimum de gouvernement ; le mécanisme rudimentaire, qui fonctionnait tant bien que mal sous l’ancien régime, ne suffit plus aujourd’hui. Pour pacifier le pays et développer ses ressources économiques, il faut d’abord y organiser la vie locale. La « loi des vilayets, » qui date de 1867, est insuffisante ; elle est d’ailleurs à peine appliquée. Les vilayets sont de grandes provinces qui comptent souvent plus d’un million d’habitans et qui n’ont aucune vie propre ; ils n’ont pas de budget distinct ; les conseils généraux, qu’Abd-ul-Hamid avait laissés tomber en désuétude et que le nouveau régime vient de ressusciter, n’ont que des attributions insignifiantes et, en fait, purement consultatives puisqu’ils ne disposent d’aucun moyen de faire exécuter leurs décisions. Chaque saudjak, quelle qu’en soit l’étendue, y est représenté par quatre membres, nommés au moyen d’un système compliqué qui assure la prépondérance aux représentai de l’administration. Les villes, elles non plus, n’ont guère dévie propre ; leur budget est insignifiant ; leurs conseils municipaux n’ont ni autorité ni indépendance. Une grande ville comme Salonique a un budget de 800 000 francs, un conseil municipal de douze membres avec un président nommé par