Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/471

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien qu’elle se laisse aller simplement à l’humeur volontiers méfiante et querelleuse qui lui est naturelle. C’est au point que le pauvre Humboldt semble avoir pris bientôt l’habitude de baisser, la tête, sous ces orages inévitables : mais toujours ensuite le voici qui sourit doucement à sa « chère Charlotte, » et, à demi aveugle, ne pouvant presque plus écrire de sa main, s’attache durant des pages à la raisonner paternellement, tantôt s’excusant auprès d’elle d’avoir mal exprimé sa pensée, et tantôt l’apaisant par toute espèce d’éloges et de flatteries ! Il lui a demandé, entre autres faveurs, — et dès le début de leurs relations nouvelles, — qu’elle voulût bien lui révéler toute l’essence de son être en écrivant pour lui un récit minutieux de sa vie passée : et chacun des morceaux quelle lui envoie de cette autobiographie lui arrache des élans d’admiration et de joie qui nous paraîtraient, à coup sûr, les plus étranges du monde si Charlotte n’était rien à ses yeux qu’une ancienne amie de jeunesse, tardivement retrouvée.


Il y a là un phénomène psychologique assez mystérieux et troublant, qui, depuis longtemps déjà, a préoccupé tous les biographes de Guillaume de Humboldt. Car depuis longtemps le texte de ses lettres à Charlotte Diede a été placé sous les yeux du public allemand, qui tout de suite en a apprécié l’exceptionnelle valeur littéraire et morale, admettant désormais ce recueil de lettres parmi le petit nombre de ses livres de choix, où peu s’en faut même qu’il n’occupe désormais l’un des premiers rangs. Fort peu de temps après la mort de Humboldt, la pensée est venue à son amie de tirer parti de l’enviable trésor que constituait, pour elle, la possession de ces lettres ; et elle-même s’est mise en devoir d’en préparer une édition qui, pour n’avoir été publiée qu’un peu plus tard, par les soins du célèbre frère cadet de Guillaume de Humboldt, n’en a pas moins conservé la forme qu’elle avait entendu lui donner. Si bien que, durant plus d’un demi-siècle, les générations se sont nourries de ces Lettres de Humboldt à une Amie telles que l’amie, dès son vivant, avait résolu de les leur offrir : mais voici qu’il a suffi à un éminent érudit allemand, M. Albert Leitzmann, de jeter un coup d’œil sur ceux des autographes des lettres de Humboldt que Charlotte Diede avait négligé de détruire pour constater que l’ « amie » en avait complètement altéré la pensée et le style, avec une liberté dont il n’existe que peu d’équivalens dans toute l’histoire littéraire !

Ou plutôt nous commençons aujourd’hui à nous apercevoir que,