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CHEZ LES NOMADES DU TIBET.

ment, à entendre tant de noms, que nous allons traverser les contrées les plus peuplées. Que l’abondance des indications ne trompe donc personne : elles ne représentent que des sites parfaitement solitaires ; mais ces lieux ont plus d’importance, pour qui traverse la contrée, que la plus grande ville en pays habité.

L’absence de troupeaux en cette région déserte est favorable à la conservation des plantes médicinales : aussi vient-on de très loin les chercher, car les plantes du Tibet sont réputées dans toute la Chine ; la récolte est faite par des équipes dont nous rencontrons fréquemment les campemens abandonnés. Une autre substance médicinale, mais non plus végétale, s’y recueille aussi en abondance : ce sont les cornes de cerf ; au moment de leur chute, elles contiennent une moelle qui entre dans la composition d’une foule de médicamens. On sait que la pharmacopée chinoise, comme celle de notre Moyen âge, utilise beaucoup de matières animales.

Ces solitudes sont d’ailleurs plus fréquentées qu’elles ne le paraissent, et souvent nos hommes s’arrêtent pour examiner des empreintes sur le sol : tant de cavaliers ont passé hier, ou tel jour. À leur nombre, à leur direction, au chargement de leurs montures, on conjecture que ce doivent être des chasseurs, et qu’il n’y a rien à en craindre. Plusieurs fois, la nuit, des pas de chevaux se font entendre, un colloque s’engage entre nos sentinelles et des interlocuteurs invisibles, car l’obscurité n’arrête pas les gens du désert, qui connaissent la moindre taupinière et dont les sens sont prodigieusement développés.

L’agrément de la route, quand le temps est passable, fait oublier la lenteur de la marche des yaks : ces animaux ont le cou si heureusement disposé qu’ils peuvent paître tout en marchant, et on conçoit que leur allure n’en est pas accélérée. Mais aussi n’ont-ils guère besoin qu’on s’occupe de leur nourriture ; les chevaux, qui ne peuvent brouter sans s’arrêter, arrivent à l’étape le ventre vide, si bien qu’il faut camper de bonne heure si on veut leur donner le temps de chercher leur pâture.

Encore faut-il que la neige le leur permette. Elle tombe chaque soir, tantôt durant la nuit, tantôt même dès quatre ou cinq heures ; le matin, elle recouvre le sol sur un demi-pied. Phénomène remarquable, vers dix heures elle a complètement disparu, sans avoir fondu et sans que le sol soit mouillé : elle