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CHEZ LES NOMADES DU TIBET.

combustion intérieure leur permet de lutter contre le froid. Ils le consomment, comme dans tout le Tibet, mélangé au thé : c’est le fameux thé beurré. Enfin ils y ajoutent, comme ailleurs aussi, le tsamba, farine d’orge grillé, qu’ils se procurent dans les hautes vallées des confins, là où la culture est encore possible et où les populations ne dédaignent point de s’y livrer. On voit que pour deux élémens essentiels de leur alimentation, le thé et le tsamba, ils dépendent entièrement de l’extérieur, ce qui rend encore plus admirable qu’ils aient su maintenir une si complète indépendance en face de l’envahissante Chine qui pourrait les affamer.

On aura peut-être constaté avec étonnement l’existence d’un village, même si singulier, parmi des populations réputées nomades. Elles le sont en effet, mais ainsi qu’on l’a écrit avec justesse, personne n’est plus sédentaire que le nomade. Il se déplace à la suite de ses troupeaux, mais dans le cercle restreint de son territoire propre ; bientôt il a déterminé quelques emplacemens particulièrement favorables, et désormais il va de l’un à l’autre suivant les saisons ; et si, dans l’organisation de sa demeure, il se trouve quelque chose qui puisse subsister, comme le rempart ou le foyer, il le laisse pour le retrouver l’an prochain. C’est ainsi que toutes les tribus des Nomades ont deux ou trois lieux fixes de résidence, qui portent toujours leur nom, si bien qu’au voyageur qui demande si tel village se trouve dans telle vallée, on répond : « Oui, en hiver, mais en été il est de l’autre côté de la montagne. »

Tout ce que nous voyons, aspect physique des indigènes, habitations, vêtement, mœurs, diffère au plus haut point, sauf par certains détails que le climat ou le sol rendent obligatoirement semblables, des descriptions que tous les voyageurs ont faites des Tibétains, et de ce que nous avons vu à Ta-Tsien-Lou : nul rapport entre ce peuple de guerriers toujours à cheval, la lance au poing, et les lourds sédentaires ou les pâtres craintifs jusqu’ici connus. Cette différence se complète et s’explique par celle de la langue : les vocabulaires que nous recueillons n’ont rien de commun avec le tibétain, ni avec ses dérivés notés sur les confins. Il semble donc que nous ayons affaire à un peuple entièrement nouveau pour l’Europe, quoique vraisemblablement ancien et fort illustre, car, à en juger par leurs vertus guerrières, ce sont ces Nomades bien plutôt que les Tibétains