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su depuis que les paysans du Palatinat avaient mis en réserve des vivres à nous fournir, afin de n’être pas brutalisés ou dévalisés. L’Empereur, naturellement, accepta cette assertion bouffonne et dit : « Puisqu’il en est ainsi, je ne puis prendre la résolution de porter mon armée en avant. » Et l’opération fut abandonnée une fois de plus.

Le sort en était donc jeté, tout espoir était perdu, et selon l’observation de l’état-major prussien : « tandis que le déploiement des armées allemandes approchait de son terme, le mois de juillet s’était écoulé sans que les Français eussent tiré parti de la supériorité momentanée qu’ils s’étaient ménagée en partant de leur garnison de paix avant d’être organisés. » Nous n’y avions gagné que l’ineffable désordre qui avait démoralisé tout le monde. Le cœur se brise même avant d’arriver aux sanglantes défaites, lorsqu’on suit pas à pas la série non interrompue des affaissemens d’énergie de ces quelques semaines.

« Tout l’art de la guerre, a dit Napoléon, consiste dans une défensive bien raisonnée, extrêmement circonspecte et dans une offensive audacieuse et rapide[1]. » L’Empereur n’avait pu se décider à l’offensive, et rien dans ses résolutions n’était audacieux et rapide. Mais il n’osait pas davantage se replier sur la défensive et rien dans ses mouvemens n’était raisonné et circonspect. Lorsqu’on a pris un parti résolu soit d’offensive, soit de défensive, on sait ce que l’on veut et où l’on entend aller. Est-on à l’offensive, on ne se préoccupe des projets de l’ennemi que pour l’induire en erreur, jusqu’à ce qu’on soit en mesure de l’aborder. A-t-on préféré la défensive, on ne pense qu’à se grouper fortement pour attendre l’ennemi : d’où qu’il vienne, il ne nous surprendra pas. L’offensive n’était pas seulement le parti le plus glorieux, c’était le plus sûr. La défensive cependant avait aussi ses chances et pouvait donner des succès. Après avoir tout sacrifié à l’offensive, on s’était brusquement retranché dans la défensive ; puis on s’était placé en dehors de l’une et de l’autre. On écartait tous les projets d’attaque offensive et on ne manœuvrait pas pour s’établir sur la défensive ; on ne coupait pas les ponts et les voies ferrées ; on ne se fortifiait nulle part ; on laissait d’immenses approvisionnemens dans des villes

  1. Au roi de Naples, 28 juillet 1806.