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présente ou passée du reste du monde ; et nous-mêmes, sans doute, serions aujourd’hui tout prêts à applaudir une pièce qui nous montrerait le grand Frédéric s’alliant avec le tsar Ivan le Terrible pour abattre la puissance de Napoléon.

Nous voici donc à Vienne, au début de la campagne de 1809 ; et le premier tableau du prologue nous introduit dans l’appartement d’une veuve, Mme Klahr, qui dirige un petit commerce de librairie, en attendant de pouvoir le transmettre à son fils Médard lorsque celui-ci aura fini de remplir ses devoirs de soldat. L’excellente femme a aussi une fille, Agathe, dont nous apprenons bientôt qu’elle s’est gagné le cœur de l’unique fils du duc de Valois, mais que sa mère lui a défendu de revoir ce prince jusqu’au jour où celui-ci, suivant sa promesse, aura décidé ses nobles parens à venir officiellement demander pour lui la main de la jeune fille. Nous entendons Agathe s’entretenir de ses rêves et de son chagrin avec une amie, Anna Berger, qui de son côté est passionnément éprise du beau Médard ; et nous faisons aussi connaissance avec Mme Klahr elle-même ainsi qu’avec son frère, le maître-sellier Eschenbacher, dont la froide et méfiante sagesse bourgeoise contraste avec l’enthousiasme patriotique des autres membres de la famille, convaincus de l’inévitable défaite de Napoléon. Puis c’est Médard, le futur héros du drame, qui, avant de joindre le corps de volontaires où il s’est enrôlé, a voulu dire adieu à sa mère et à sa sœur. D’autres figures encore entrent et sortent, des voisins, des employés de la librairie, chacun commentant à sa manière les graves événemens politiques du jour ; et tout ce premier tableau de la pièce nous apparaît vraiment un modèle d’exposition théâtrale à la fois claire, rapide, colorée et vivante, où à la peinture des caractères particuliers de ses personnages l’auteur a très habilement entremêlé celle des sentimens généraux de la population viennoise pendant l’émouvante période qu’il a entrepris de ressusciter. Soudain la conversation des hôtes de Mme Klahr est interrompue par l’arrivée du comte de Valois, qui annonce à la mère d’Agathe que ses parens ont enfin consenti à autoriser sa mésalliance ; mais quelques mots échangés à mi-voix entre Agathe et lui nous révèlent qu’il a simplement imaginé ce mensonge pour avoir accès auprès de son amie, avec laquelle il a résolu de s’enfuir dès ce même soir, — sans que, d’ailleurs, les paroles des deux jeunes gens nous permettent de deviner l’usage qu’ils comptent faire ensuite de leur liberté.

Second tableau. Ce même soir, Médard est attablé avec ses nouveaux compagnons dans un cabaret de faubourg, au bord du Danube.