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fort sincère, le charge d’un côté pour le décharger de l’autre : on peut en effet en conclure qu’il avait quelque chose à se faire pardonner de ses hôtes, mais aussi que ce quelque chose n’était pas un irréparable dommage, car de tels souvenirs n’auraient jamais laissé place à un aussi cordial accueil de la part de ses victimes.

A peine réconcilié avec ces témoins de son riant passé, Goethe s’empressa de les oublier. On trouve encore dans ses papiers une note qui se rapporte à son voyage de 1779 : « Je visitai en chemin F. B. : je la trouvai peu changée, tout aussi bonne, aimable et confiante que par le passé, mûrie et posée cependant. » Et puis c’est tout : nulle autre trace de Frédérique dans la vie du grand homme avant la tardive rédaction de ses Mémoires (sinon peut-être une autre ligne de son carnet de notes, six mois après sa visite à Sesenheim : « Reçu une bonne lettre de Rieckgen B. »). Achevons donc sans rien demander davantage à son illustre ami la biographie authentique de l’abandonnée qui devait survivre trente-quatre ans à leur brève et suprême entrevue. Sa destinée devient fort obscure après 1779. Ayant perdu son père et sa mère en 1787, à quelques semaines d’intervalle, elle essaye pour vivre d’un modeste commerce à Rothau en compagnie de sa sœur cadette, également restée fille ; mais toutes deux renoncent bientôt à cette entreprise pour vivre dans le voisinage et sans doute à la charge de quelques parens ou amis : tantôt près de leur jeune frère Christian, devenu pasteur à son tour, tantôt près de la baronne de Dietrich qui protégea généreusement les deux isolées.

On a supposé, sans preuves certaines, que Frédérique alla vivre à Versailles entre 1789 et 1793, c’est-à-dire en pleine crise révolutionnaire, auprès d’une amie de jeunesse mariée dans cette ville. On la retrouve peu après en Alsace. Partout où l’on a pu constater sa présence, on la voit exercer la charité de grand cœur et se faire aimer de son entourage. Nous possédons enfin quelques sentences écrites de sa main dans ses dernières années sur ces albums d’autographes qu’on présentait jadis à ses amis en leur demandant d’y consigner quelques lignes à titre de souvenir. Ces sentences expriment toutes de graves et discrets avis de morale.