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tout autre cours. Je n’ignorais pas en effet que Gœthe renonça définitivement à ses vues sur Frédérique dès son départ de Strasbourg et qu’il ne revint au bout de huit ans que pour revoir en passant son amie, mais nullement pour lui offrir son nom. » Pourquoi Naeke ne se donna-t-il pas la peine de rectifier les convictions erronées de son interlocuteur, c’est ce qu’il n’explique pas davantage. Il demanda encore ce qu’était devenu l’enfant prétendu de Frédérique et du prêtre, mais ne put obtenir aucune indication sur ce point.

En dépit de cette déplaisante révélation, il se déclara d’ailleurs enchanté de sa visite : « Je ne puis même prétendre, écrit-il, que l’aventure attribuée à Frédérique ait en rien troublé mon ravissement pendant cette journée d’émotions délicieuses. J’avais été préparé, comme je l’ai dit, à trouver dans la vie de cette charmante fille quelque infortune secrète, et j’étais satisfait d’apprendre qu’on ne pouvait du moins rendre Gœthe responsable de son malheur. Ce fut donc partout la vraie, la poétique Rieckchen, celle qui, surabondamment parée de jeunesse et de beauté, d’innocence et de tendresse, n’avait encore versé de larmes que sur le prochain départ du bien-aimé, ou tout au plus sur quelque pressentiment de son triste avenir, ce fut celle-là seulement que mon cœur voulut évoquer devant ce riant paysage, tantôt dans une muette extase, tantôt dans un attendrissement délicieux ! »


VI

Peu de temps après son retour à Bonn, Naeke eut une inspiration assez singulière. Il s’avisa de faire parvenir à Gœthe le récit de son pèlerinage à Sesenheim, hommage attendri, sorte de pieux ex-voto suspendu par sa main dans le temple idéal du poète divinisé. Il n’en effaça d’ailleurs ni l’histoire du jeune pâtissier de Strasbourg, ni les commérages de Schweppenhaeuser au sujet du suborneur Reimbold. Ainsi avisé des imputations diverses qui pesaient sur la mémoire de Frédérique, ainsi mis en cause lui-même dans le plus souriant épisode de sa jeunesse, l’Olympien de Weimar ne parut pas s’émouvoir un instant. Il adressa bientôt à Bonn une réponse si caractéristique que nous croyons devoir la traduire ici tout entière, en dépit de sa forme abstraite et quelque peu pédante, en vérité.