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français. C’est le progrès. Il a été consacré par une législation nouvelle qui ne s’est pas faite en un jour ; il a fallu s’y reprendre à plusieurs fois ; on a tâtonné au début, on n’a pas su exactement où on allait. Une première loi, qui porte la date de 1905, avait pour objet avoué et parfaitement légitime de combattre la fraude : un règlement d’administration publique devait la compléter et l’a complétée en effet. Mais pendant ce temps-là, les prétentions des ultra-protectionnistes dont nous avons parlé allaient en augmentant, et lorsqu’ils se sont trouvés en présence du règlement élaboré par le Conseil d’État, ils l’ont trouvé insuffisant. On a donc fait une seconde loi, en 1908, où, pour la première fois, il a été question de rechercher l’origine même des produits viticoles et de garantir leur pureté au moyen de délimitations. Ces mots dangereux, qui correspondaient chez les uns à des idées confuses, chez les autres à des intentions à demi voilées, ont été imprudemment introduits dans la loi, sans que personne alors ait bien compris quelles en seraient les conséquences pratiques. Le Conseil d’État a été chargé d’élaborer un nouveau règlement d’administration publique qui ferait corps avec la loi, et d’accord avec celle-ci, il a créé des délimitations : la Champagne a eu la sienne, le Bordelais, le pays du cognac ont eu les leurs.

Aussi longtemps que la loi n’a eu pour objet que de réprimer la fraude, il n’y a eu rien à dire contre elle ; mais, dès qu’elle a eu créé un monopole, tous ceux qui en ont été exclus ont commencé à protester. Pour ne parler que de la Champagne, on ne pouvait pas faire le bonheur de la Marne sans faire le malheur de l’Aube, et il faut bien reconnaître que ce département avait de bonnes raisons à faire valoir pour se défendre, car il était difficile de lui contester la qualité de champenois, non seulement au point de vue historique et géographique, mais encore au point de vue viticole. Les usages, les traditions plaidaient en sa faveur. Il avait donc d’excellens argumens à présenter. Pourquoi a-t-il jugé à propos d’y joindre des procédés d’intimidation et de violence ? Il a eu tort, sans doute ; mais d’assez nombreux précédens lui avaient appris que c’était aujourd’hui le seul moyen d’être écouté. On lui avait donné l’exemple, il l’a suivi. Des manifestations imposantes et menaçantes ont donc eu lieu ; le drapeau rouge a été arboré jusque sur les monumens publics ; des chants révolutionnaires ont retenti ; enfin de premiers désordres ont donné comme un avant-goût de ceux qui suivraient, si l’Aube n’obtenait pas à son tour satisfaction. On a fait venir des troupes, mais trop tard, et assez pour irriter, pas assez pour intimider : il a fallu parlementer