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22 REVUE DES DEUX MONDES. après vous, l’a pleuré comme moi’^.. Dix courriers ont été lancés, mes plus rapides cavaliers, nuil et jour, au galop, crevant leurs chevaux, jalonnant les routes de cadavres épou- monés, pour essayer d’arriver à temps, de détourner l’irré- médiable malheur... L’Impératrice. — Qu’en a-t-on fait?... Le corps de mon fils, où est-il?... L’Empereur. — A cette heure, dans un grand char impérial, il s’achemine lentement vers le Nord, précédé de musiques funèbres, suivi de mille dignitaires en vêtemens de gala, avec tout le faste d’un jeune souverain. L’Impératrice. — Et où le conduit-on, mon fils? L’Empereur. — Vers les forêts inviolables où reposent les Empereurs tartares. Là, dans une vallée, où jamais l’homme n’a creusé la terre, deux lieues de cèdres sombres jetteront leur silence autour de son mausolée de porcelaine... L’Impératrice. — M’accorderez-vous de dormir auprès de lui? L’Empereur, très doux, comme un enfant. — Mais... suivant l’usage des Impératrices, c’est vous-même qui, dans la forêt, choisirez le site, les perspectives, et tracerez les longues avenues de marbre... pour quand votre heure sonnera... L’Impératrice. — Elle a sonné, mon heure, et depuis bien des jours... Je l’ai entendue, mais j’avais les mains liées, et os gardes, sans trêve, autour de moi... A présent, vous me la donnez, n’est-ce pas, ma liberté suprême, et je m’en vais rejoindre tous ces morts qui m’attendent? Me retenir, serait indigne de vous, mon noble ennemi, vous ne ferez pas cela!... L’Empereur, après un silence. — Vous retenir?... Oh! moi, non..., mais, le devoir... Fille des Ming, au devoir vous êtes incapable de faillir... L’Impératrice, s’ animant enfin. — Le devoir!... Quel de- voir?... Ah! déjà une première fois on m’a leurrée avec ce mot-là, et on m’a conduite à fuir, comme une femme vulgaire que la peur talonne; pendant qu’ils savaient mourir comme des braves, tous, mes guerriers, mes princes, jusqu’à mes filles d’honneur, je m’en allais, moi, lâchement, par les souterrains de mon palais... pour obéir au devoir!... Tenez, c’était à l’heure où mes soldats tombaient pur milliers, frappés par les vôtres, où mes murailles croulaient sous le heurt de vos armées,... on m’avait apporté, dans une coupe d’or, le breuvage