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Djérissa est le Metlaoui du Centre Tunisien, mais un Metlaoui où il neige parfois l’hiver. Village créé de toutes pièces avec son église, son dispensaire et son terrain de jeux, dans un fond de vallée solitaire et dépouillé, il est dominé par la silhouette brune du Djebel Djérissa, la montagne de fer, que la pioche et la dynamite découpent par pans et par tranches, du sommet à la base. Autrefois escarpée, la pointe est devenue plateau, et de mois en mois sous l’effort des mineurs, le plateau s’abaisse. Un va-et-vient de wagonnets, mus par la pesanteur, garnit les lianes abrupts de la montagne en démolition et accumule à son pied, dans de vastes entonnoirs ou « trémies, » les blocs d’hématite. A la base des trémies, des orifices faciles à obturer, malgré la pression formidable des blocs entassés, dominent la voie du chemin de fer. Deux ou trois fois par jour, les wagons vides passent sous les entonnoirs et la cascade de minerai s’y déverse bruyamment dans un poudroiement rouge. La nuit suivante ou le lendemain matin au plus tard, les trains de minerai, qui atteignent jusqu’à mille tonnes sur leur dernière section, arrivent au terre-plein de la Goulette, à la sortie du lac de Tunis. Les wagons, longs cercueils en tôle que les gens du chemin de fer et de la mine appellent « torpilleurs, » sans doute pour leur forme oblongue et renflée, sont amenés un par un à l’estacade de déchargement. Leurs parois latérales, montées sur charnières, s : entr’ouvrent, et le contenu du wagon glisse sur les deux plans inclinés du fond en dos d’âne pour tomber en quelques secondes de chaque côté de la voie. Recueilli dans de vastes cuves, le minerai est déposé sur un terre-plein en ciment armé, d’où un jeu de wagonnets et de tapis roulans le portera au navire en chargement. Comme à la mine, une poussière rouge embue l’atmosphère, colore les rails, les pierres, la tôle des wagons, s’attache aux vêtemens, à la peau, aux cheveux des manœuvres.

Le triage, le déchargement et la réexpédition des wagons prennent parfois moins d’une matinée et presque toujours les trains vides sont de retour aux « coulottes » de chargement moins de quarante-huit heures après en être partis. En 1909, sur la ligne de Kalaa-Djerda, le trafic du minerai de fer n’a été inférieur que de 30 000 tonnes à celui du phosphate ; en 1910, la même ligne a transporté 360 000 tonnes de phosphate et 366 000 tonnes de minerai de fer.