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Elle est mal conseillée. Elle suit un système passionné et contraire aux intérêts de Sa Maison. Paris, Madrid et Vienne, voilà les véritables appuis de Votre Majesté. Qu’elle repousse les conseils perfides dont l’entoure l’Angleterre ! Elle a conservé son royaume sans aucune perte au milieu du bouleversement de l’ordre social. Qu’elle ne risque point de le perdre, lorsque l’ordre social sera rassis !… » Puis, se tournant vers la Reine, il lui tient un langage plus hautain et plus explicite.

« Il m’est difficile, dit-il, de concilier les sentimens que contient la lettre de Votre Majesté avec les projets hostiles que l’on paraît nourrir à Naples. J’ai dans mes mains plusieurs lettres de Votre Majesté qui ne laissent aucun doute sur ses véritables intentions secrètes. » Et, la prenant à partie sur un ton ironique comme s’il avait à tancer un enfant terrible, il lui parle ainsi : « Quelle que soit la haine que Votre Majesté paraît porter à-la France, comment, après l’expérience qu’Elle a faite, l’amour de son époux, de ses enfans, de sa famille, de ses sujets ne lui conseille-t-il pas un peu plus de retenue et une direction politique plus conforme à ses intérêts ? Votre Majesté, qui a un esprit si distingué entre les femmes, n’a-t-elle donc pas pu se détacher des préventions de sa race et peut-elle traiter les affaires de l’État comme les affaires du cœur ? » On ne pouvait être ni plus méprisant ni plus impertinent. Napoléon finissait par une menace sinistre qu’il soulignait lui-même : « Que Votre Majesté écoute cette prophétie, qu’Elle l’écoute sans impatience : à la première guerre dont Elle serait cause, Elle et sa postérité auraient cessé de régner. Ses enfans errans mendieraient, dans les différentes contrées de l’Europe, des secours de leurs parens !… Je ne fais pas ma cour à Votre Majesté par cette lettre ; elle sera désagréable pour Elle. Cependant, qu’Elle y voie une preuve de mon estime. Ce n’est qu’à une personne d’un caractère fort au-dessus du commun que je me donnerais la peine d’écrire avec cette vérité. »

Telle était cette missive, la plus menaçante et la plus arrogante que Napoléon ait jamais écrite à un souverain. Elle exaspéra Marie-Caroline qui écrivit à Gallo le 25 janvier 1805 :

« Vous ne vous représenterez jamais au vif la rage, le désespoir que m’a causé la très insolente lettre du scélérat, mais trop heureux Corse. Je voulais dans l’instant tout quitter, me retirer, et étant femme, ne pouvant me venger sur le