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professe avec conviction, avec expérience, avec justesse. Dès qu’il passe à la couleur, il n’a plus d’élans, ou du moins n’en a plus que pour la proscrire chez ceux qui l’ont le mieux rendue. Entendez-le devant cette fête des yeux que sont les Rubens : « Vous êtes mes élèves, par conséquent mes amis et, comme tels, vous ne salueriez pas un de mes ennemis, s’il venait à passera côté de vous dans la rue. Détournez-vous donc de Rubens dans les musées où vous le rencontrez, car si vous l’abordez, pour sûr, il vous dira du mal de mes enseignemens et de moi… On a dit de Caravage qu’il était venu au monde pour détruire la peinture. On pourrait en dire autant de Rubens… » Comme Rembrandt est sensiblement moins coloriste que clair-obscuriste, M. Ingres le comprend un peu mieux, mais il y a encore, chez lui, trop de modulations de couleur : « N’admirons pas Rembrandt et les autres à tort et à travers ; ne les comparons pas, eux et leur art, au divin Raphaël et à l’Ecole italienne : ce serait blasphémer… »

Et, en effet, dès qu’on est insensible au ragoût des couleurs, non seulement on n’en fait pas un mérite à l’artiste, mais on s’irrite de ce qu’elles viennent déranger et détruire l’harmonie des attitudes, l’équilibre des lignes, la clarté des expressions. D’abord, elles empêchent de voir si la forme est parfaitement rendue et, par leur éclat intempestif, elles peuvent nous tromper sur ce point capital, nous dissimuler une défaillance, tandis que le dessin, lui, révèle exactement ce que l’artiste sait ou ne sait pas des formes : c’est « la probité de l’Art. » Ensuite, si le dessin est parfait, elles le gâtent. Or un peintre insensible à la couleur est comme un orateur insensible au mouvement : quand il a fait une belle phrase, il faut qu’il la place, coûte que coûte, telle quelle, dans son discours. Arrière, l’improvisation qui écornerait la belle phrase, qui la ferait peut-être disparaître ! « La promptitude d’exécution dont la couleur a besoin pour conserver tout son prestige ne s’accorde pas avec l’étude profonde qu’exige la grande pureté des formes, » dit M. Ingres.

Et ce ne sont point, là, de simples « mots » d’artiste, des boutades occasionnelles. Toutes les toiles de la galerie Georges Petit projettent devant nos yeux ce qu’annoncent ces paroles. On y voit qu’avant tout, le Maître ne veut pas « perdre son dessin. » Il remplit le contour, — en s’appliquant bien à ne pas le dépasser, — d’une teinte moyenne qui lui représente, à peu