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enfant se mesurera donc d’abord à ce qu’elle a (autant que possible) d’adéquat à son objet présent. Si elle le dépasse et sait le faire rentrer avec d’autres en un ensemble plus large auquel elle saura se montrer égale, elle aura certainement donné une preuve de plus de son étendue et de sa vigueur. C’est dire que l’intelligence d’un écolier peut être chose changeante et sujette à des ascensions comme à des chutes également inattendues.

La mémoire est une des parties les moins nobles, peut-on dire, de cet ensemble mouvant, parce qu’elle peut, à quelques-uns des degrés qu’elle franchit, dépendre surtout d’aptitudes toutes mécaniques. On pourra dire d’elle ce que Boileau dit de la rime : elle n’est qu’une esclave et ne doit qu’obéir. Sa valeur durable ne s’établit donc que par le concours qu’elle donne à des formes plus larges de la pensée. Une mémoire qui revient d’elle-même exactement et promptement à ce qu’elle a lu ou vu sous une forme sensible ne vaudra pas telle mémoire d’abord plus rebelle ou plus facile à égarer, mais dont l’enfant retrouvera les détours par un effort personnel et réfléchi. Peu importe que ce « palais » des souvenirs soit plus difficile à ouvrir, si on emploie, pour y pénétrer, une clef dont l’usage même a quelque chose d’intelligent. Quand surtout on exige la mémoire littérale (et celle-là seule peut être mesurée par les procédés que nous avons dits), on risque bien de mal juger le sujet ; car souvent ce qui la gêne et la déroute chez un enfant n’est pas autre chose que la troupe d’images accessoires et d’idées naissantes que provoquent les mots prononcés ou mentalement ou à haute voix, et n’est-il pas connu que pour revenir à la littéralité, il ne faut souvent qu’une absence ou qu’une suspension de réflexion ? C’est pourquoi la mémoire d’un enfant, comme plus d’une de ses autres facultés, est variable, variable d’une classe à l’autre et d’une année à l’autre, suivant l’attrait, — souvent passager, — qu’on a su donner à tel ou tel genre d’exercice. L’œuvre de l’éducation enfantine est de coordonner et de régulariser tous ces efforts : le travail de la jeunesse proprement dite et de ses heures décisives sera de les faire converger vers une fin élue ou adoptée et persévéramment servie.

Pour hâter ce moment et pour en fixer les bienfaits, il faudra un certain idéal, et il est toujours intéressant de connaître, quand on le peut, celui d’un enfant. Mais ici encore, que de