Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/816

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’abord appris l’importance souveraine des questions religieuses. Toute la dernière partie de l’Essai sur les Révolutions, — presque le quart de l’ouvrage, trente et un chapitres sur cent vingt-six, — est consacrée à ces questions : visiblement, elles le hantent, et le passionnent de plus en plus. Quand il en vient aux objections des philosophes contre le christianisme, il se défend bien de les prendre à son propre compte : « Je rapporte, dit-il, les raisonnemens des autres sans les admettre. » Et à la fin, il renvoie aux « raisons victorieuses » des apologistes chrétiens : il est vrai que l’Exemplaire confidentiel ajoute ici en note : « Oui, qui ont débité des platitudes, mais j’étais bien obligé de mettre cela à cause des sots. » — Admettons, comme nous l’avons fait tout à l’heure, qu’il faille là-dessus prendre Chateaubriand au mot, et que, dans son for intérieur, il ait, à de certains momens, pleinement souscrit aux conceptions et aux négations des Encyclopédistes. Ce n’est pas du moins qu’il ait pour eux une grande sympathie, et, toutes les fois qu’il parle de « la secte athée, » en son propre nom, c’est en termes singulièrement méprisans. Il a une page des plus dures sur l’ « immoralité, » la « turpitude, » les « sales romans » des philosophes. Il reproche à l’un, Helvétius, ses « livres d’enfans, » à l’autre, Diderot, les « mauvaises raisons » dont il défend son « pur athéisme, » à tous leur « rage » de destruction. « Voltaire, écrit-il, n’entend rien en métaphysique ; il rit, fait de beaux vers et distille l’immoralité. » Et, dans un noble mouvement, il adjure « cette cruelle philosophie » qui « plonge le peuple dans l’impiété et ne propose aucun autre palladium à la morale » « de ne point ravir à l’infortuné sa dernière espérance[1]. »

Il va plus loin encore. L’un des tout derniers chapitres du livre est intitulé : Quelle sera la religion qui remplacera le christianisme ? Et après avoir écarté, entre autres hypothèses improbables, celle du triomphe de la religion naturelle, il s’écrie : « Cependant, il faut une religion, ou la société périt. En vérité, plus on envisage la question, plus on s’effraye. » Chateaubriand a bien raison de nous avertir, par une note ultérieure, qu’ « il y a dans cette idée un principe d’ordre[2]. » En réalité, c’est la pensée maîtresse de son Génie du Christianisme qui vient de lui apparaître : il a dépassé déjà et rectifié l’égoïste

  1. Essai sur les Révolutions, p. 388, note ; 586, 593, 584, 559, 560, 548, 593.
  2. Essai, p. 611, 610, note a.