Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/474

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais que toujours et sans arrêt, jusque-là, « le martyre de cette âme céleste » lui ait laissé comme une « couronne d’épines » autour du front, visible encore pour nous sous la couronne de lauriers qui allait bientôt s’entrelacer à elle, en cela tous ses biographes s’accordent à reconnaître que le pressentiment qu’il exprimait à sa confidente de Tennstedt ne l’a point déçu. Un cœur tel que le sien n’était point fait pour oublier les « yeux angéliques » qui, naguère « se fixaient sur lui avec une élévation et une douceur ineffables, » ni surtout ces « crises d’alarme effrayante » où sans doute la jeune fille se sera mise soudain à pleurer et à trembler d’épouvante, en suppliant son cher Frédéric de la protéger contre un noir fantôme entrevu sur le seuil ! Et après que, d’abord, ces souvenirs tragiques ont « détourné » le jeune poète « de toute autre contemplation, « ce sont eux, au contraire, qui ont revêtu à ses yeux l’univers d’une réalité, d’un éclat et d’une signification et d’un charme nouveaux, par un de ces miracles d’amour dont personne mieux que lui ne nous a célébré le puissant sortilège.


Et la pauvre Caroline Just ? demandera-t-on. Dans la liasse infiniment précieuse de lettres et papiers divers qu’il semble bien que la confidente du roman d’amour de Novalis ait léguée, avant de mourir, à une de ses amies, deux pièces seulement sont postérieures à la lettre du 24 mars 1797 ; une sorte de « compliment, » en vers assez médiocres, adressé par l’ancien élève de l’inspecteur Just à la famille entière de celui-ci, et une dernière lettre à Caroline, datée du 5 février 1798. Mais un document plus instructif nous est révélé par M. Heilborn sous la forme d’un fragment de lettre du poète à son père, le 1er septembre de cette même année 1798 : « J’apprends de Tennstedt que Caroline Just a eu, en quatre semaines, douze crachemens de sang. Elle va maintenant un peu mieux, mais sa convalescence est très lente, et non sans danger de récidive. » Nul doute que l’amie de Sophie de Kühn soit allée très vite, elle aussi, « rejoindre » l’immortelle fiancée du poète.


T. DE WYZEWA.