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printemps dans ma petite tour. Il est arrivé avant-hier. Je compte lui apprendre le nom de mon amie.


A Chênedollé (12 janvier 1805) :

Je vous attends… Nous irons nous ébattre dans les vents, rêver au passé, gémir sur l’avenir. Si vous êtes triste, je vous préviens que je n’ai jamais été dans un moment plus noir ; nous serons comme deux cerbères aboyant contre le genre humain. Venez donc le plus tôt possible.


Et encore une fois, je n’ai pas choisi. Les uns pourront préférer la vivacité piquante de Voltaire ; les autres l’imagination somptueuse de Chateaubriand. Littérairement, les deux se valent. On pourrait dire d’ailleurs qu’il arrive parfois à Chateaubriand de « faire du Voltaire, » j’entends par là de plaisanter avec autant d’agrément que Voltaire : je ne crois pas que Voltaire épistolier ait jamais su atteindre à certaines hauteurs où s’élève sans effort Chateaubriand.

Et je ne pense pas que l’intérêt historique ou documentaire de la Correspondance de Chateaubriand soit beaucoup moindre que celui qui s’attache à la Correspondance de Voltaire. Si le grand écrivain du XVIIIe siècle a été mêlé à toute la vie de son temps, on en peut dire autant du poète des Martyrs. Ambassadeur et ministre, celui-ci a vu de plus près, il a même manié de plus grandes affaires, et l’historien, même politique, des deux Restaurations ne saurait négliger le témoignage d’un homme qui a pu se vanter fièrement, et justement, d’avoir « fait de l’histoire. » Quand, en 1838, il publia son Congrès de Vérone, — ce livre trop peu connu aujourd’hui, et pour lequel Vinet professait une si vive admiration, — deux de ses amis, Marcellus et La Ferronays, inquiets de ces divulgations qu’ils jugeaient prématurées, vinrent le supplier de ne publier que les documens strictement indispensables à sa justification personnelle. Nullement convaincu, mais ne voulant pas contrister ses amis, Chateaubriand déféra à leur désir. « Vous me coûtez tous deux quarante mille francs, » leur dit-il. Quatre, volumes étaient imprimés : il les lit détruire, — sauf un exemplaire, — et il réduisit sa publication à deux volumes. On aurait pu, ce me semble, publier de son vivant toute la Correspondance de Voltaire sans trahir aucun secret d’Etat.

Mais, plus encore qu’un document sur l’histoire politique et sociale, morale et littéraire de son temps, la Correspondance de Chateaubriand est un document sur lui-même ; et à ce point de