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accompagnée de larmes et de protestations d’amour et Madeleine eut ainsi l’avant-goût des lettres qu’elle devait recevoir pendant son séjour à la campagne, lettres brûlantes à travers lesquelles elle pouvait se figurer son amoureux « ne cessant de gémir sur son absence et pleurant comme un enfant pendant des journées entières. »

Vraie ou feinte, cette douleur ne pouvait l’émouvoir, car le jour même où le prince s’engageait sur l’honneur à laisser Armfeldt libre de choisir entre les fonctions qu’il occupait et celle à laquelle on l’appelait, il signait sa nomination comme ministre en Italie.

On ne saurait trop s’étonner qu’après avoir ainsi entassé mensonges sur mensonges, tromperies sur tromperies, pour vaincre la résistance opposée à ses prières, il ait pu conserver l’espoir d’en avoir raison un jour. Il est cependant vrai qu’il le conserva. Dans des lettres ultérieures, Madeleine, qui maintenant n’a plus que railleries pour cette « belle passion, » nous montre le Régent à Drottningholm « passant trois ou quatre fois par jour devant ses fenêtres et se tordant le cou pour essayer de la voir à travers les vitres. »

Une autre fois, au mois de mai 1793, elle le rencontre au souper du Roi où il venait rarement et, de nouveau, elle acquiert la preuve qu’il n’a pas renoncé à la séduire ou que, tout au moins, il veut feindre de n’y avoir pas renoncé.

« Pour mon malheur, il s’avisa de rappeler le temps passé de cet été, et cela assez haut pour être entendu de Taube, Gyldensdolpe et Stackelberg. Il me dit que, pour m’oublier, il avait fait flèche de tout bois, mais que, ne trouvant partout que des sottes et des mijaurées, ses sentimens retournaient toujours à moi, que plus je le dédaignais et je marquais mon amour et ma constance pour toi, et plus il m’aimait.

« Il me dit que je n’avais qu’un défaut qui était l’entêtement. Je me défendis que je n’étais pas plus entêtée qu’une autre.

« — Oh ! que si, dit-il, ce qui vous est une fois entré dans la tête, le diable lui-même ne saurait le faire sortir.

« — Je vous demande pardon, monseigneur, je suis la première à céder à la raison, mais jamais à l’autorité.

« — Qui vous parle d’autorité ; elle n’existe pas chez moi. Mais je vous dirai aussi que quand je me suis mis une idée en tête, je n’en démords pas.