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le plus bref délai, sans passer par Stockholm. Les formes de politesse dont était enveloppé cet ukase d’exil et les avantages pécuniaires attachés aux fonctions auxquelles on l’appelait, dissimulaient tant bien que mal la disgrâce définitive dont il était frappé. Mais il comprit qu’on le proscrivait. Néanmoins, il ne crut pas devoir refuser, puisque, après tout, il ne voyait pas de place pour lui en Suède, avant que le Roi eût atteint sa majorité.

« Puisque Votre Altesse m’a fait connaître sa volonté, mandait-il au Régent, je n’ai plus rien à dire. Comme sujet, je sais que l’obéissance est mon premier devoir. Dans quelque circonstance que ce soit, on ne me prendra jamais à renier ma profession de foi sous le règne de votre immortel frère et au milieu des intrigues de l’esprit de révolte et de fureur, qui divisait la patrie. »

Mais, que d’amertume sous cette soumission ! Elle éclate dans les lettres qu’il écrivait à sa femme et à sa maitresse. Il trouve humiliant qu’en échange de la situation la plus brillante, on le condamne à courir les chemins et à une carrière sans gloire. Un emploi de ministre en Italie lui convient d’autant moins qu’on ne lui a pas même conféré le titre d’ambassadeur. Tout au plus peut-il espérer qu’exilé, « il sera intéressant. »

Ainsi, de ce qui lui arrive, de ce qu’il voit, de ce qu’il apprend des événemens de Suède, que viennent assombrir encore ceux qui se déroulent à Paris, naissent les raisons qui alimentent ses colères et le jettent dans un état voisin du découragement. On ne saurait donc s’étonner si, d’une part, il songe à passer au service d’une puissance étrangère et si, d’autre part, il est résolu à ne pas se hâter de se rendre à son nouveau poste.

Telles sont les dispositions dans lesquelles, au commencement de 1793, il débarquait à Vienne. Il n’y était pas attiré seulement par le désir d’y chercher l’occasion de réaliser les desseins vagues encore dont son esprit était agité, mais aussi parce qu’il avait hâte d’y retrouver une femme dont les charmes et la séduction lui faisaient oublier qu’en Suède deux cœurs qui lui étaient passionnément attachés ne cessaient pas de battre pour lui. Née Galitzine, elle avait épousé le prince Mentschikoff, sujet russe, connu pour ses mœurs dépravées. Armfeldt l’avait rencontrée à Aix-la-Chapelle où elle se trouvait avec son mari et une nièce