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37 701 à la disposition directe du général Lyautey. Sur ce chiffre, 32 050 hommes appartiennent au corps expéditionnaire et 5 651 sont des auxiliaires indigènes. Est-ce assez ? Le contraire est à craindre. Le général Lyautey a déjà demandé une première fois des renforts. M. Poincaré a dit qu’on lui enverrait tout ce qu’il demanderait, mais en même temps il a exprimé la conviction que le général « ne perdrait jamais de vue la situation de la France en Europe. » Le mot n’a pas laissé d’inquiéter un peu. Ce n’est pas seulement aujourd’hui ou demain qu’il faut ou qu’il faudra ne pas perdre de vue la situation de la France en Europe ; il aurait fallu y songer beaucoup plus tôt et nous avons bien le droit de dire qu’on ne l’a pas toujours fait, puisque nous n’avons négligé aucune occasion de le faire, pour notre compte, au jour le jour. Maintenant nous sommes engagés, nous ne pouvons pas reculer. Le général Lyautey est un homme trop intelligent pour ne pas se préoccuper de la situation de la France en Europe ; mais il n’en a ni la responsabilité ni la charge ; elles appartiennent au gouvernement : son affaire, à lui, est de faire connaître à Paris notre situation au Maroc. Elle est grave, dit M. Barthou ; elle est sérieuse, dit M. Poincaré : nous n’avons rien à ajouter.

M. Jaurès est naturellement intervenu dans la discussion : nous disons naturellement, parce qu’il n’a jamais manqué l’occasion, lorsqu’elle s’est offerte, de faire connaître son avis sur les affaires marocaines, et nous sommes un peu gêné pour dire que cet avis a été quelquefois le nôtre. Nous sommes gêné parce que, même lorsque nous avons été d’accord avec M. Jaurès, les motifs qui nous guidaient lui et nous étaient bien différens. M. Jaurès est ennemi de toute politique coloniale ; ne voulant pas la fin, il ne veut pas non plus les moyens, et il a rêvé, pour l’extension de notre influence au Maroc, toute une idylle de pénétration pacifique à laquelle nous n’avons jamais cru. Il rêve aujourd’hui de substituer à notre protectorat sur le Maroc une sorte de coopération, d’association bénévole avec le Sultan qui nous donnerait à peu près les mêmes charges que le protectorat sans ses bénéfices. M. Barthou, qui était en verve, n’a pas eu de peine à montrer à la fois l’inanité et le danger de la combinaison. Nous aimions vraiment mieux M. Jaurès lorsqu’il se contentait de dire : — Qu’allons-nous faire au Maroc ? Qu’allons-nous faire dans cette galère ? Nous avons eu tort d’y aller : allons-nous-en au plus vite et laissons le Maroc aux Marocains, qui sont de bons citoyens, d’excellens nationalistes et dont les mœurs sont respectables comme le sont toutes les mœurs indépendantes et libres. — Ce