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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/570

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aucune force contraignante ; donc le système de l’abbé de Saint-Pierre ne vaut rien ; donc, en montrant comme inefficace un arbitrage qui n’a pas assez de force, l’abbé condamne le sien qui n’en a pas du tout ; donc il revient sans s’en douter à l’idée qui sera celle de Napoléon. Que quelqu’un soit le plus fort et ensuite qu’il soit juste ; il n’y a pas d’autre solution. C’est toujours le mot de Pascal ; il faut fortifier la justice, ou justifier la force. Or fortifier la justice qui arbitrera les querelles européennes, le moyen ? Donc, malheureusement, il faut une force qui se justifiera ensuite ; il faut que quelqu’un devienne le roi de l’Europe par la victoire et ensuite qu’il la juge et c’est-à-dire la « gouverne. »

Remarquons que les Etats-Unis d’Amérique eux-mêmes, c’est par la force qu’ils se sont constitués définitivement, non pas en 1776, mais en 1865. Une moitié de ce peuple a vaincu l’autre, puis a été juste dans l’organisation et la pratique de l’union. C’est bien l’idée napoléonienne ; il fallait que même là elle fût prouvée vraie.

M. Drouet a examiné tout cela, comme c’était son devoir ; mais ce qui fait l’intérêt de son livre c’est qu’il a examiné avec le même soin les ouvrages de l’abbé de Saint-Pierre beaucoup moins connus, ses ouvrages non plus de politique mais d’éducateur, de sociologue, de critique littéraire, etc.

Il était ennemi déclaré des jansénistes sans être moliniste pour autant : « La Cour fait bien de viser à expulser la doctrine de Jansénius sur la liberté humaine ; mais il ne faudrait que veiller sur les professeurs et sur les supérieurs des communautés à qui il faudrait donner des pensions fortes et ne donner des bénéfices qu’aux molinistes ; et cette doctrine empoisonnée, opposée aux bonnes mœurs, s’en irait par insensible transpiration, sans faire de bruit, sans augmenter en France l’autorité du Pape. Sans que, par cette élimination douce, on augmentât l’autorité du Pape, et sans diminuer l’attention du Parlement aux entreprises de la Cour romaine qui tendent toutes à diminuer l’autorité royale. » D’autre part : « Les jésuites seraient plus souhaitables et meilleurs citoyens s’ils avaient un général français indépendamment de leur général italien. Tout ce qui tend à diviser l’autorité porte les citoyens à la division, aux partis et peu à peu aux guerres civiles. »

Il était l’ennemi fieffé des couvens, des moines, des