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avant 1873 étaient curés, et dont l’Etat, dès lors, avait toujours considéré le ministère paroissial comme parfaitement légal, pouvaient, si bon leur semblait, tenter hors de leurs paroisses d’apostoliques évasions, et ramener le Christ, de temps à autre, pour quelques brefs instans, dans les nombreuses églises dénuées de tout sacerdoce. La faculté de reprendre contact avec toutes les âmes catholiques de Prusse était rendue à l’Eglise de Prusse ; mais les seuls ecclésiastiques qui pussent en profiter étaient ceux qui occupaient, quelque part en Prusse, un poste légal, considéré par l’Etat comme leur appartenant légalement.

Le caprice législatif proposait ainsi un notable surcroit de besogne, une besogne de missionnaires, a des prêtres déjà Agés, déjà responsables du soin de toute une paroisse : ils acceptèrent avec une joie conquérante cette fatigue longtemps inespérée. On vit tout de suite les curés qui étaient membres du parti du Centre se partager entre eux, dans un certain périmètre autour de Berlin, les paroisses vacantes, et s’en aller le dimanche, tantôt dans l’une, tantôt dans l’autre, pour vivifier les hosties et les âmes. Le Dieu de l’Eucharistie, dans certaines mains sacerdotales nettement indiquées par la loi, avait cessé d’être un délinquant : il pouvait réapparaître sans fraude, dans les sanctuaires où depuis sept ans il lui fallait, furtivement, braver la police. Çà et là, cette rentrée fut triomphale ; et la Gazette de Cologne s’en plaignait ; la sécurité toute nouvelle de ce Dieu apparaissait comme une humiliation pour l’Etat ; et l’humiliation, remarquait-on, durerait peut-être dix ans, quinze ans même, jusqu’à ce qu’eussent disparu du monde tous ces curés légitimes, dont l’Etat venait de déchaîner le zèle. Ainsi, pour dix ou quinze ans, la Prusse avait « lâché son arme essentielle contre l’Eglise ; » et le journal rhénan, après avoir vainement espéré que, pressées par l’inanition spirituelle, les âmes catholiques iraient s’abreuver à d’autres sources que les sources « ultramontaines, » s’apitoyait sur le désarmement provisoire de l’Etat.

Dans ce duel entre les âmes et l’Etat bismarckien, c’est l’Etat qui finissait par être gêné. Il se sentait à l’aise à Berlin, du haut de la tribune, pour affirmer la souveraineté des lois qui privaient d’évêques les diocèses, et qui, depuis sept années, excluaient de tout service utile les nouvelles recrues du sanctuaire ; mais lorsqu’il fallait affronter directement, chez elles, sur le terrain même de leurs souffrances et de leurs luttes, les