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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/646

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gourmandait vertement aussi le chevalier degli Alessandri, directeur de l’Académie des Beaux-Arts de Florence, qui au Fra Filippo Lippi choisi par lui dans cette collection avait substitué un tableau très endommagé du même peintre : Denon faisait valoir cet argument inattendu, que, le Louvre étant à la veille d’acquérir un très beau Filippino Lippi, il serait inconvenant que le père fût moins avantageusement représenté que le fils.

Soit négligence dans l’emballage, soit vétusté des tableaux, le premier envoi de primitifs italiens, arrivé en août 1812, subit de sérieuses avaries : un Cosimo Roselli et surtout un Rafaelino del Garbo durent être considérés comme à peu près perdus. Denon multiplia les recommandations pratiques, et suggéra même de spécifier sur l’acte de voiture que le commissionnaire en roulage répondrait des dégâts à dire d’expert ; précaution ingénue de la part d’un aussi spirituel amateur, et qui fait penser au légendaire proconsul Mummius, prétendant exiger le remplacement des dépouilles artistiques de Corinthe.

Les arrivages d’Italie se succédèrent littéralement jusqu’à la chute de l’Empire. Les caisses étaient transportées par eau de la Spezia à Arles et Chalon-sur-Saône, d’où des chariots les amenaient à Paris. En novembre 1813, une voiture reçut un chargement si volumineux qu’elle ne put franchir les portes de Villeneuve-sur-Yonne, et dut contourner cette bourgade. Le 8 décembre 1813 encore, Denon faisait ordonnancer les frais de transport de « cinq caisses de tableaux de la primitive école d’Italie, expédiées de Florence. » Le 12 décembre 1813, avec une raideur qui à cette date tient de l’inconscience ou de l’héroïsme, il réprimandait le baron Rœderer, fils du sénateur, préfet du département romain du Trasimène, sur sa nonchalance à mettre en route les dix-neuf caisses de tableaux « marqués à Pérouse, Foligno, Città di Castello et Todi. »

Ce convoi, le dernier qu’on attendit, ne quitta jamais l’Italie. Mais grâce à la largeur du goût ou plutôt à l’étendue de la curiosité artistique de Denon, grâce aussi au zèle passionné qu’il déployait dès qu’il s’agissait de son cher musée, le Louvre se trouvait en possession d’une collection de primitifs italiens fort importante, sinon tout à fait complète. Comme on dédaignait alors un art soi-disant barbare, presque tous ces tableaux échappèrent aux reprises de 1814 et 1815, et les acquisitions de Denon