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sur l’autre en son absence et l’a déclaré mort sur le coup. Tout cela n’est que comédie de gens qui jouent à la Constitution. Ces gestes, ces simulacres semblent puérils devant la gravité de la situation. Que fera le Comité ? Essaiera-t-il de lutter ? En a-t-il les moyens ? Et le gouvernement est-il décidé à l’abattre coûte que coûte ? Il n’y a que cela qui compte. Le gouvernement a bien coupé, mais il faut coudre : et c’est la question de demain.


Nous ne pouvons pas terminer cette chronique sans faire mention de la mort de l’empereur du Japon. L’histoire dira-t-elle de Mutsu-Hito qu’il a été un grand homme ? Nous n’en savons rien, car l’homme est peu connu. Bien qu’il eût renoncé à certaines formes hiératiques dans lesquelles ses prédécesseurs avaient été figés, il vivait enfermé dans son palais comme dans un temple, et ses ministres seuls pourraient dire quelle part personnelle il a eue dans la révolution qui, au cours de son règne, a complètement transformé et modernisé son empire. En tout cas, ce règne a été un grand règne, le plus grand à coup sûr de l’histoire du Japon, un des plus grands de l’histoire du monde. Jamais pays n’a marché aussi vite et n’est allé plus loin en aussi peu d’années ; il a fait l’œuvre de plusieurs siècles dans la moitié d’un. Ces petits hommes ont avancé à pas de géans. A peine engagés dans la voie de la civilisation, ils sont arrivés au but, et on parlait encore un peu vaguement de leurs progrès, sans trop y croire, lorsqu’ils ont étonné le monde par la manifestation de leur puissance politique et militaire. Rien de tout cela ne s’est fait sans Mutsu-Hito. Qu’il l’ait conçu ou non, il y a consenti, il l’a voulu, il a soutenu énergiquement les hommes de mérite que sa bonne fortune lui avait donnés pour instrumens : et voilà pourquoi son nom restera glorieux.

Sa mort a produit au Japon une impression très vive. Dès que sa maladie a été connue, une foule immense et recueillie s’est pressée autour de sa demeure. Les récits des témoins qui nous sont déjà parvenus montrent qu’on a représenté à tort la race nippone comme réfractaire aux idées et aux sentimens religieux. Il y a eu au contraire, autour du palais impérial, des manifestations religieuses d’un caractère singulièrement expressif. Le récit qu’en a fait l’Agence Havas, bien qu’il ait été reproduit par tous les journaux, mérite d’être reproduit ici, au moins par extraits : « On voyait, y lisons-nous, des groupes de prêtres, venant des tombes et des chapelles shintoïstes, réciter devant les autels provisoires des prières que répétaient les