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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/123

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attirèrent bientôt à la Cour des jalousies et des inimitiés. Dès que Bismarck arriva au pouvoir, il s’inquiéta de voir Morier en si bonne position auprès du prince Frédéric-Guillaume, le fit pressentir et le trouva trop indépendant à son gré. Il lui reprocha bientôt d’influencer le roi Guillaume par l’entremise de la Reine, du prince héritier et de sa femme. Quand Morier occupa à Darmstadt une situation où il croyait n’avoir rien à craindre, le chancelier fit tous ses efforts pour l’en déloger et lui faire quitter l’Allemagne, en le dénonçant comme un agitateur anti-prussien, et cela même au moyen de lettres anonymes. Dès 1867, le baron de Stockmar avertissait Morier qu’il était accusé de nouer des intrigues contre l’Allemagne et que le chancelier avait adressé à lord Napier une plainte formelle contre lui. Morier avait les preuves de toutes ces menées et connaissait le dénonciateur, un diplomate prussien, qui avait servi d’espion contre certains habitans de Darmstadt et contre le prince Waldemar de Holstein lui-même. Voici comment Morier expliquait la persécution de Bismarck contre lui : « Je ne crois pas être injuste envers le prince en affirmant que la politique se présente à lui d’une manière moins abstraite que concrète ; en d’autres termes, bien moins en rapport avec les principes qu’identifiée avec les personnes. Il réagit contre l’idéalisme de ses compatriotes. C’est ce qui fait sa force et aussi sa faiblesse ; c’est ce qui a donné à sa méthode politique un caractère si accusé, pour ne pas dire violent, contre les personnes. L’arène politique est pour lui, au sens littéral du mot, une sorte de jeu de bagues, dans lequel l’homme le plus fort l’emporte sur le plus faible et ramasse sans cesse l’enjeu. Il méprise cette politique et juge inutile toute action fondée sur des principes moraux, ou sur tout autre fait que l’action personnelle. On pourrait lui appliquer ce passage concernant Napoléon : « Cet homme comprit tout, excepté une seule chose, le scrupule en matière de morale ; quant à ceux qui avaient des principes moraux, il les brutalisa, il les ridiculisa ; il ne les comprit jamais. »

Morier insiste sur cette conduite habituelle à Bismarck : « Le résultat naturel de l’oubli des principes moraux comme levier de l’action politique, est de les remplacer par l’intrigue personnelle. Or, l’intrigue personnelle a joué dans la carrière de Bismarck un rôle immense. Aux yeux du chancelier, les personnages qui occupent la scène politique sont uniquement de deux sortes : ses