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jouent, bondissent et jappent comme de jeunes chiens en venant mordre le ruban d’or des plages.

En rade, à l’arrière de nos bateaux de guerre, s’éploie dans l’espace vide et clair le pavillon aux trois couleurs : sur la hampe invisible, le bleu, le blanc, le rouge transpercés de la flamme du soleil ressemblent à trois colonnes de lumière, debout dans le ciel. Je les vois, immobiles et fulgurantes, comme le signe d’un impérieux message inscrit dans le bleu divin du matin.

Et, — je n’ai pas besoin d’y aller voir, — je sais que dans notre jardin, toute droite contre la petite maison des Algériens au burnouss bleu, soldats de garde, bien voilée, bien cachée dans son haïk, dont elle retient le bord entre ses dents pour qu’on ne voie pas son visage, m’attend, m’attendra, obstinée, confiante en ma venue et mon accueil, la marchande de fleurs, la cueilleuse d’iris des champs : Lialah !

Lialah ! je ne sais qui nous dit son nom, ou si peut-être nous le lui avons donné. Elle n’a pas plus l’air d’avoir un nom à elle que la régulière hirondelle qui vient, à peu près au même moment, voleter autour de la maison. Lialah porte sur sa tête une charge qui ferait plier son cou robuste, si elle ne se tenait si droite, appuyée contre le mur blanc, les bras un peu écartés pour mieux assurer l’équilibre de ce poids si lourd : une gerbe tassée, faite des grands iris sauvages tout gonflés des pluies récentes qu’on voit hauts et droits dans les champs.

C’est comme si on disait que le beau temps va revenir. Cette Lialah ! de tout le torride été passé, de toute la saison grise des pluies, on ne l’a pas seulement aperçue. Jamais on ne la rencontre, avec les femmes, aux fontaines, jamais on ne la devine parmi les groupes familiers des indolentes qui s’attardent le soir à rêver ou à babiller, assises sur les pierres blanches dans le champ désolé du cimetière. Mais une fois que nous avions laissé nos chevaux courir à l’aventure dans la campagne sauvage, le soldat algérien, le caïd Achmet m’a montré une minuscule hutte de terre au toit de chaume tressé. Elle était cachée sous les épineux remparts des cactus et des aloès. Par le trou ménagé dans le toit pointu passait la fumée, deux autres trous faisaient les fenêtres, un quatrième faisait la porte. Et le caïd Achmet, penché sur sa selle, me dit tout bas