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— Ils m’ont offert exactement la moitié de ce que valait mon cabinet. Ah ! on sait faire, aujourd’hui, et même refaire ! Il est vrai que ce n’est pas un bien joli cadeau que je leur abandonne… Ah ! le sale métier !…

Jérôme avait de la rancune dans la voix. On sentait qu’il ne disait pas tout ce qu’il avait sur le cœur.

— Allons, allons, lui dit son frère doucement, tout ça, c’est mort, Dieu merci ! quand, au contraire, cela aurait pu te tuer.

— Je n’en vaux guère mieux.

— Ce n’est pas l’avis de Malard. Il me disait, encore hier, combien tu avais changé, et à ton avantage, depuis un an. Des nuances, qu’il a très bien saisies.

— C’est un brave garçon, et que j’aime bien.

— Et maintenant que te voilà débarrassé de la correspondance de Paris, tu vas rajeunir tous les matins.

— Non. Je suis au bout de mon rouleau !

— Quelle idée !

— Et puis, quoi ! c’est parfait. J’ai rempli mon rôle. J’ai subvenu aux besoins d’une femme : un grand flémard de fils m’a tiré des carottes jusqu’à vingt-cinq ans ; et j’ai doté ma fille. De la vente de mon cabinet, je n’ai pas gardé un sou pour moi. Pour avoir la paix, je leur ai tout laissé, ainsi d’ailleurs que tout ce que je possédais d’argent et de titres. Je suis liquidé. Des honoraires d’Épirange, je ferai deux parts : l’une payera ma pension chez Anna ; je placerai l’autre sur la tête de ma petite-fille. Jusqu’à ma dernière minute, je travaillerai pour les autres. C’est notre devoir à nous, et je ne me plains pas de cela. Il est plus agréable de donner que de recevoir… Ah ! je t’assure qu’on n’a rien fait pour me retenir à Paris ! Je suis au rancart ! Est-ce qu’on garde les vieilles coques de noix quand on les a vidées ? Fanny, elle, est restée en otage. Rolande a encore besoin d’elle pour quelques mois ou quelques années… Et puis ce sera son tour d’aller crever dans son coin… C’est charmant, la vie !

Jérôme se tut. Gabriel laissa passer quelques instans, puis :

— Pauvre vieux ! Tu es fatigué de ton voyage. Demain, tu verras moins triste. Et qui sait ? ce soir peut-être ! Nous voici arrivés. Tu auras à faire toute la journée, probablement. A cinq heures, je t’enverrai la jument. Tu viendras diner à Filaine. C’est dit ? Moi, je vais rentrer par les prés et les champs pour