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de la science médiévale qui l’achève. Anselme, Abélard, Lombard, saint Thomas, proclament à nouveau l’union de la foi avec l’intelligence, de la grâce avec la liberté. Et quand, le grand siècle fini, la pensée religieuse, comme épuisée de son vol, se retourne vers les réalités morales, c’est toujours du même esprit qu’elle les observe et les définit. Du grand œuvre de dissection et d’analyse était née une conception théologique très compréhensive et très humaine : la faute originelle comprise, moins comme une corruption totale que comme une déformation ; dans l’âme régénérée par le baptême ou purifiée par la pénitence, la concupiscence, peine du péché, distincte du péché, œuvre de notre volonté libre ; la justification gratuite opérée en nous par la foi, achevée par la justification personnelle de nos œuvres ; dans nos œuvres, une mesure plus exacte des responsabilités et des valeurs, du mérite comme de la faute, en un mot, l’homme, actif pour la vérité comme pour le salut.

A l’inverse de cette tradition, le christianisme de Luther est un fidéisme pur. Là où elle a uni, il sépare ; où elle concilie, il oppose. Dans la pensée, comme dans la vie, il dissout les élémens que la pensée chrétienne a rapprochés.

La foi seule. — Pour concentrer sur cette conception unilatérale toute la vie religieuse, c’est d’abord dans les matériaux de la foi que Luther découpe et élimine. Dans la tradition intellectuelle, docteurs ou Pères qui ont cru au pouvoir de la raison ou de la volonté : un saint Thomas, un saint Jérôme, un Origène. Un seul, à ses yeux, « explique l’Évangile, » Augustin ; mais Augustin, tel qu’il le comprend et le déforme. Même travail sur la Bible. Les grands penseurs chrétiens avaient été frappés de la variété infinie, presque inépuisable du contenu divin et dans le Livre de Dieu ils avaient tout pris, soudant l’une à l’autre, interprétant l’une par l’autre, les vérités partielles, comme autant de faces diverses, mais non contraires, de la vérité totale. Il s’agit bien de ces concordances ! Si le christianisme se ramène à quelques notions, la Bible se résume elle-même dans quelques textes : dans l’Ancien Testament, certains passages de la Genèse ou des Psaumes, un verset d’Habacuc ; dans le Nouveau, saint Paul. Voilà le premier des théologiens, sinon le seul. Plus encore, ramenant toute la théologie à saint Paul, Luther ramène saint Paul lui-même à quelques-uns de ses écrits. Toute la vérité évangélique tiendra, à ses yeux, dans les