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renoncer à tous ces problèmes qu’une théologie « orgueilleuse » se flatte de résoudre, sur Dieu, sur la création, sur l’invisible. De l’au-delà nous ne saurons jamais plus que ce que la sagesse éternelle nous a dévoilé. La dialectique est un « fléau ; » toute logique de la foi, « une fiction. » Encore plus faut-il expurger la théologie de toutes ces notions empruntées aux sciences humaines : substance, quantité, quiddités, ce par quoi elle prétend expliquer les principes mêmes de l’être. Sous ces altérations impies, le christianisme est défiguré, le mystère ramené à l’intelligible, la religion à une philosophie. Dieu au niveau de l’homme. Et c’est aussi substituer à la Parole qui unit, les sectes, les écoles, les disputes qui divisent. La vraie science sacrée est celle qui, se détournant du pourquoi des choses, s’exerce et nous exerce dans le deuil de nos péchés, la pénitence, l’humilité. L’autre « ne cherche et ne trouve que le principe de Satan. » — Erreur enfin d’appliquer toute méthode rationnelle à l’exégèse. La parole de Dieu seule : dans son sens littéral ou spirituel. Avec leurs gloses, leurs scholies, leur « quadruple sens, » leur symbolisme, commentateurs et humanistes « ont lacéré » le message divin. En voulant allégoriser la Bible, Origène en a faussé l’étude. En l’interprétant par l’histoire, saint Jérôme en a affaibli l’enseignement. A fixer, à comprendre la lettre, la grammaire suffit : à pénétrer l’esprit, la libre inspiration. Le Christ, caché dans la Bible, comme dans son vêtement, peut seul nous initier à sa pensée, comme à sa vie.

À la vie de la foi, plus de concours moral. Il faut déraciner jusqu’aux dernières fibres cette idolâtrie que l’homme a de ses facultés à connaître comme à pouvoir le bien. Entre l’élection divine et notre nature, nos inclinations, nos actes, quelle conciliation possible ? Ainsi, du principe formulé, en 1516, sur la corruption totale de l’être, Luther va-t-il pousser à fond les conséquences. Dans ses Commentaires sur l’Épître aux Romains, il pouvait encore admettre l’existence d’une activité, si faible qu’elle fût, pour le salut. Dans les écrits ultérieurs, de 1517 à 1520, les thèses d’Heidelberg, l’Épître aux Galates, la Captivité de Babylone, toute restriction va disparaître. C’est qu’ici surtout, dans le domaine moral et pratique, plus que dans le domaine spéculatif, l’aristotélisme païen a tout envahi. Il faut donc le frapper au cœur, dans ses notions de moralité, de libre arbitre, de responsabilité, de mérite, idoles intérieures autrement dangereuses