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comme une femme qu’on tient prisonnière et qui s’ennuie ; il a fallu l’occuper malgré tout. Or il n’y a qu’un moyen de s’occuper d’une idée qu’on veut mettre à exécution, c’est de la fausser et de la compliquer, de même qu’il n’y a qu’un moyen de s’occuper d’une femme qu’on ne peut mener au bal ni au spectacle, c’est de lui chercher querelle et de la tourmenter… » — Comme tout cela est juste et neuf ! Un peu travaillé, direz-vous. Je ne crois pas. Il me semble qu’une fois l’idée trouvée (celle de Mme de Girardin) elle devait se développer, se dévider d’elle-même comme cela. Ce n’est pas le développement qui est travaillé, c’est l’idée qui est rare. Et j’y reviens, parfaitement juste.

Voyez quelle gaîté de style dans son Éloge des Cercles. Les femmes, en général, médisent des cercles. Quelle erreur et quelle ingratitude ! Les cercles sont comme ces substances chimiques qui dévorent les miasmes. Ils absorbent les ennuyeux et en débarrassent les salons et les familles : « Il y a dans le monde des personnes qui sont douées de cette fatale propriété d’arrêter subitement la circulation des idées comme un poison arrête la circulation du sang… Eh bien ! tous ces esprits pesans, exclusifs d’idées, qui encombrent la conversation, les clubs les absorbent. Ce sont des temples hospitaliers ouverts aux infirmes, aux affligés ; ce sont les hospices des importuns ; ils accueillent tous ceux qu’on repousse, ils appellent tous ceux qu’on fuit : les maris de mauvaise humeur, les joueurs de mauvaise compagnie, les pères ronfleurs, les oncles rumineurs, les tuteurs sermonneurs, les gens qui n’entendent pas bien, les gens qui parlent mal, ceux qui ne comprennent pas bien, ceux qui ont un mécompte à dissimuler, ceux qui ont appris une mauvaise nouvelle, ceux qui ont fait dans la journée une fâcheuse découverte, ceux qui commencent à soupçonner un tiers dans leurs amours… » — L’énumération continue ; le club grandit pour ainsi dire avec elle et devient comme le sauveur de l’humanité encombrée de ses sots et de ses grincheux, comme de ses parasites, et que le cercle assainit, protège, garantit, soulage, guérit. Au cercle, temple d’Hygée, l’humanité reconnaissante. Le crescendo est à souhait.

Le style ironique de Mme de Girardin est exquis. La comparaison paraîtra bizarre. C’est au terrible Royer-Collard que, quand elle ironise, elle me fait songer. Elle s’engage dans l’ironie de telle sorte que d’abord on y est parfaitement pris : on croit