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monde nouveau qu’elle n’aimait même pas assez pour le taquiner. Elle s’éteignit en 1855, âgée de cinquante et un ans, magnifiquement pleurée par Victor Hugo (Jadis je vous disais : Vivez, régnez, Madame), par Théophile Gautier et Lamartine ; et par Dante aussi, puisque Gautier assura que c’était pour elle que Dante avait écrit :


La bella creatura di bianco vestita


Tout le monde (et elle ne laissa pas de le faire entendre) avait songé pour elle à l’Académie française et c’est à dire, et il n’y aurait rien de plus juste, à deux places à réserver aux femmes dans l’Académie, deux places dont, à cette époque, la première serait revenue de droit à George Sand et la seconde à Mme  de Girardin. Quand les femmes seront admises à l’Académie, on dressera une liste de toutes celles qui auraient dû en être, et cette liste commencera par Mme  de Sévigné, se terminera par… ne mettons aucun nom, pour ne désobliger personne et pour encourager tout le monde ; et contiendra les noms de Mme  de La Fayette, de Mme  Deshoulières, de Mme  de Maintenon, de Mme  de Lambert, de Mme  du Chatelet, de Mme  de Staël, de Mme  George Sand, de Mme  de Girardin et de Mme  Arvède Barine.

Certainement le dernier mot sur Mme  de Girardin a été bien dit, comme tous les derniers mots, par Sainte-Beuve : « Cette femme avait bien de l’esprit ; » mais vraiment, ce n’est pas assez dire. Cette femme avait bien de l’esprit ; mais elle avait aussi de la sensibilité, une brillante imagination fantaisiste, et elle était un moraliste fort digne de considération. On a imprimé le Vicomte de Launay, avec des coupures, en 1868, en quatre volumes. Pour la postérité, on n’a pas coupé assez. Il y reste trop de ce qu’il y avait de meilleur pour le public du temps et peut-être pour l’historien : faits divers, bals, soirées, entrées des souverains, avènement de la girafe. Il faudrait ramasser en un volume de quatre cents pages environ le Vicomte de Launay moraliste, et l’on s’apercevrait que, parmi nos moralistes français, c’est un des mieux avertis, un des plus pénétrans et l’un des plus spirituels.


Émile Faguet.