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jusqu’à une époque indéterminée. Nous devions opérer au Maroc par une progression méthodique, en dehors des poussées rapides qui pouvaient sans doute nous conduire jusqu’à un point éloigné comme Marakech, mais qui, dans l’obligation où nous serions d’y rester après y être allés, nous imposeraient des obligations nouvelles avec des forces peut-être insuffisantes pour les remplir. Toutes ces considérations, que le gouvernement avait pesées et qui avaient pour lui fait pencher la balance dans le sens de l’abstention, étaient certainement présentes à l’esprit du général Lyautey lorsqu’il a reçu des renseignemens imprévus sur la situation de Marakech et qu’il a entendu les appels qui lui étaient adressés. Il les a pesés à son tour ; il a jugé que la balance n’était plus la même entre les raisons qui nous conseillaient de voler à Marakech et celles qui nous le déconseillaient : les premières étaient devenues subitement les plus fortes ; nous avions lieu de croire que nous rencontrerions sous les murs de la ille des concours utiles et efficaces qui nous en rendraient maîtres avec un minimum d’efforts. L’occasion se présentait, s’offrait si favorable que le général a cru devoir en profiter. Le souci de délivrer nos compatriotes a certainement influé aussi sur sa détermination : puisqu’on pouvait, en quelque sorte d’un seul élan, obtenir tous ces résultats à la fois, il n’y avait pas à déhbérer plus longtemps, il fallait agir. Le général l’a fait sous sa responsabilité, n’ayant pas eu le temps de consulter le gouvernement. Le succès a consacré l’entreprise. Nous avons appris que le colonel Mangin était parti pour Marakech et trois jours après qu’il y était arrivé. El Hiba était déjà en fuite : les habitans de Marakech nous avaient débarrassés de lui à coups de fusils. Il y a lieu de remarquer ici, une fois de plus, à quel point, dans ces guerres coloniales, on est peu maître des dispositions et des résolutions qu’on a cru avoir arrêtées : on ne dirige pas les événemens, on est dirigé par eux. Il faut croire que nous ne vouhons pas aller à Fez l’année dernière, puisque notre gouvernement ne cessait pas de l’assurer ; nous y sommes pourtant allés, n’ayant pas pu, dit-on, faire autrement ; nous nous étions mis dans l’engrenage, les lois de la mécanique nous ont poussés jusqu’au bout. À partir de ce moment, nous n’avons plus été libres ; militairement et politiquement, nous étions engagés ; nous n’avons plus eu qu’à régulariser notre situation avec l’Europe, c’est-à-dire avec l’Allemagne à laquelle nous avons fait pour cela les concessions que l’on sait. Les opérations ont commencé : le plan en avait été précisé, limité par le gouvernement et le général Lyautey. Nous ne voulions pas plus aller à Marakech qu’à Fez, et