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l’insurrection de 1909, Issa Boletinatz, serait, dit-on, passé aux Serbes ; il les aurait ensuite trahis et aurait été tué par eux. Les Albanais, en ce moment critique, hésitent entre deux haines ; le parti qui réclame l’autonomie albanaise fait des progrès : les Albanais, le plus vieux peuple de la péninsule, s’apprêtent à y constituer la plus jeune des nationalités.

Les races non turques, Grecs et Bulgares, Albanais et Monténégrins, oubliant leurs haines séculaires ; les soutiens autrefois les plus fidèles de l’Empire, les Albanais, les Arabes, hostiles ou mécontens ; les grandes puissances irritées, les petites réduites à se préparer à la guerre et à négocier leur entente ; la Tripolitaine dégarnie de troupes et offerte comme une tentation aux ambitions de l’Italie, tels sont quelques-uns des résultats du gouvernement des Jeunes-Turcs. Jamais, en moins de temps, on ne commit plus de fautes, ni de plus graves. Il serait injuste de reprocher aux Jeunes-Turcs de n’avoir pas réalisé toutes les réformes et toutes les créations qu’on aurait pu attendre d’eux ; mais, dans les trois années pendant lesquelles ils ont exercé une dictature absolue, on ne voit pas qu’ils aient guidé leur pays dans des voies d’avenir, qu’ils aient amorcé des réformes fécondes, tracé un plan bienfaisant, réalisé un peu plus de justice, et c’est de quoi leurs compatriotes sont en droit de leur faire grief. Leurs vues ont été étroites et mesquines, elles n’ont guère dépassé l’horizon d’une loge maçonnique ; tout leur effort a été employé surtout à durer ; ils ont confondu leur maintien au pouvoir avec l’avenir de la Turquie ; en excluant leurs adversaires, en rétrécissant de plus en plus le cercle de leurs affidés, ils ont remplacé la tyrannie d’un homme par la tyrannie d’un Comité et la dictature d’une coterie. Ils ont ainsi successivement mécontenté les anciens serviteurs de l’Etat, les fonctionnaires blanchis sous le harnais et qui savaient par quel jeu de contrepoids la Turquie se maintient depuis si longtemps en face de ses ennemis, les officiers qui n’étaient pas affiliés aux comités Union et Progrès, les hodjas et les dévots le l’Islam inquiets de leur matérialisme grossier et de leur impiété affichée. Le pédantisme positiviste des dirigeans du parti jeune-turc a plus avancé, en trois ans, la démoralisation de la société ottomane et la désagrégation de l’Etat que la tyrannie hamidienne en trente ans. Les sociétés qui durent ont