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besoin d’un idéal pour vivre et se renouveler : celui que les Jeunes-Turcs proposaient à leur pays n’était adapté ni à sa mentalité ni à ses mœurs. Le parti Union et Progrès croyait tenir tout le pays par ses comités, toute l’armée par ses affiliés ; les dernières élections, moins sincères et plus « truquées » encore que les précédentes, lui avaient donné une majorité énorme dans la Chambre, et cependant il a suffi d’un événement extérieur, la guerre avec l’Italie, qui révéla sa faiblesse réelle et l’incurie de sa gestion, pour jeter bas son gouvernement. Mais son œuvre de destruction lui a survécu : c’est lui qui a préparé l’effondrement dont la soudaineté révèle aujourd’hui la profondeur et l’étendue du mal. L’échec du gouvernement des Jeunes-Turcs a été en même temps celui de la dernière tentative de réforme essayée par la Turquie sur elle-même. Les vieux serviteurs d’Abd-ul-Hamid, les Kiamil, les Moukhtar, les Saïd, les Hilmi reparurent au pouvoir et tentèrent d’inaugurer une politique lénifiante ; il était trop tard ; les quatre Etats balkaniques étaient définitivement fixés sur les réformes que l’on peut attendre de l’initiative du gouvernement turc ; les massacres de Kotchana et d’Istip, les violences exercées sur les Serbes dans le vilayet de Kossovo, les concessions accordées aux Albanais musulmans pour tenter une tardive réconciliation, faisaient apparaître le désordre plus irrémédiable que jamais et présageaient le retour des pires calamités. Il était démontré que l’amélioration du sort des chrétiens de la Turquie ne viendrait jamais ni du gouvernement ottoman ni de l’Europe ; elle ne pouvait donc venir que des Etats balkaniques eux-mêmes. La guerre italo-turque leur offrait une occasion favorable, ils décidèrent de ne pas la laisser échapper ; ils resserrèrent donc leur union et annoncèrent l’intention de mobiliser leurs armées s’ils n’obtenaient pas, pour leurs « frères » de Macédoine, les satisfactions nécessaires.

Au dernier moment, l’Europe et la Turquie tentèrent de recourir encore aux vieux remèdes. Ce fut d’abord la proposition du comte Berchlold, dont le sens et la portée ne semblent pas avoir été très bien saisis par tous les Cabinets de l’Europe : elle était une tentative pour rassembler les membres discords du concert européen à la veille de la tempête prévue ; mais elle paraissait attribuer à l’Autriche-Hongrie une sorte de prééminence dans les affaires balkaniques, et c’est pourquoi, en