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originaires, exposes ensemble aux mêmes périls, et réduits à se suffire, prépare entre eux des amitiés où ils ont plus de leur cœur à mettre et que l’échange constant des services, parfois au péril de la vie, rendent sacrées. Elle avait d’avance fait frères les compagnons de Marchand. Ils le furent par l’inquiétude de tous dès qu’un d’eux semblait en péril, par leur élan à courir au secours sans attendre un appel à l’aide, par la sollicitude de chacun à ne pas accroître pour soi les fatigues des autres. Cette délicatesse trouva son expression la plus touchante dans la lettre suprême où Gouly mourant prie le docteur Emily de ne pas venir, parce que la route est trop longue et sans eau. Cette solidarité eut sa victoire continue dans leur émulation sans jalousie, dans leur oubli de mettre à part leurs mérites, dans leur empressement à les confondre ensemble, dans leur joie de succès communs et indivisibles.

La France inspire aux Français qui l’ont contemplée d’Afrique une plénitude particulière dans l’amour. Les factions qui divisent la patrie cessent d’être intelligibles. Ni leurs cris ne traversent la voix de la mer, ni leurs mouvemens le calme du désert. La France seule est assez grande pour attirer le regard lointain, et cet éloignement qui la montre tout entière dévoile d’elle l’harmonie et l’unité. Tous les siècles apparaissent comme les serviteurs successifs de la même reine, et les forces qui en elles ont cru se contredire la complètent. On comprend qu’aimer seulement d’elle quelques fragmens de sa durée ou de son génie serait la méconnaître, et détruire rien de ce qu’elle garde vivant serait la mutiler. Elle règne intacte dans un culte généreux pour toutes les grandeurs de notre histoire. C’est celui que les officiers de la Mission avaient appris. La France ne serait pas assez grande pour leur cœur, si elle n’était que la France d’un parti, c’est-à-dire d’un jour. Ils l’aiment de ses origines à l’heure présente, et tout son passé présent à leur mémoire nourrit leur piété. Quand sur les bords du Soueh ils se retranchent et bâtissent un fort, ils pensent à un soldat glorieux de la France en Egypte, et baptisent Desaix leur ouvrage. Quand ils battent les Derviches, le 25 août, fête de Saint-Louis, ils fêtent leur victoire en donnant au réduit central de Fachoda le nom du roi qui tenta de dominer en Afrique.

Et ce n’est pas seulement l’âme guerrière de la France que ces soldats honoraient à travers les âges. Assurer par les armes