Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 12.djvu/537

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

propre. Lui aussi, disait-il, désirait la fin de la guerre, mais non pas à tout prix et seulement après la victoire. Dans les séances des Comités, cette question provoquait des discussions constantes et des scènes aigres-douces, après lesquelles Vergennes soulageait sa colère en exprimant, avec une étrange liberté, fût-ce parfois en présence du corps diplomatique, sa méprisante antipathie pour le directeur général[1]. S’il s’oubliait ainsi devant des étrangers, on imagine de quels termes il se servait lorsqu’il causait avec Maurepas. Il ne cessait d’attiser ses rancunes, d’aviver son dépit, au sujet des visées secrètes, des prétentions ambitieuses de Necker. Il montrait ce dernier usurpant peu à peu les fonctions de premier ministre, cherchant, en quelque sorte, à exercer la « dictature « dans les conseils du Roi, ou encore à organiser, selon l’expression de Hardy, une manière de triumvirat dont il serait le chef, avec pour acolytes MM. de Castries et de Ségur[2]. Il trouvait là chez le Mentor un terrain trop bien préparé. L’union formée contre Necker entre ses deux collègues, — les deux plus influens, les plus solidement investis de la confiance royale, — constituait un péril dont l’évidence aurait dû lui ouvrir les yeux.


Les deux frères de Louis XVI, chacun à sa manière et suivant sa tournure d’esprit, n’étaient pas moins hostiles au ministre réformateur. Le Comte d’Artois, pour faire sa cour à Marie-Antoinette, avait bien, il est vrai, lors de la crise récente, pris parti contre Montbarey, le protégé de Mme de Maurepas, mais ce n’était, de sa part, qu’une passade. Le chiffre énorme et croissant de ses dettes, — dont Mercy, quelques mois plus tard, évalue le total à vingt et un millions[3], — faisait de ce dissipateur l’adversaire naturel du probe et vigoureux comptable qu’il trouvait toujours sur sa route dans ses appels constans à la bourse du Roi. D’ailleurs, Necker avait dû, à plus d’une reprise, sévir contre la bande d’agioteurs et d’aigrefins qui foisonnaient parmi les familiers du prince, et ceux-ci s’en vengeaient en excitant leur « patron » contre lui. Dans ce concert de plaintes intéressées, son surintendant des finances, le sieur Radix de

  1. Correspondance publiée par Flammermont. — Journal de Véri.
  2. Journal de Hardy. — Journal de Véri.
  3. Lettre à Joseph II, du 16 octobre 1781. — Correspondance publiée par Flammermont.