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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 12.djvu/538

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Sainte-Foix, dont on lira prochainement l’aventure, se distinguait, pour cause, d’une manière toute spéciale. Ces « criailleries » portaient leurs fruits. La main du Comte d’Artois se retrouvera dans la misérable manœuvre qui sera l’occasion de la chute de Necker.

Quant au Comte de Provence, son animosité contre le directeur avait une origine précise. Au mois d’avril 1779, son intendant, Cromot du Bourg, ex-agent de l’abbé Terray, réclamait, au nom de son maître, le remboursement intégral d’une somme d’un million de livres environ, qu’il prétendait rester due à Monsieur sur la succession paternelle. Une lettre de Cromot, d’un ton presque comminatoire, sommait l’administrateur des finances de faire droit à cette exigence. La réponse de Necker à cette tardive réclamation est dédaigneuse, hautaine. Après avoir rejeté la demande comme entièrement injustifiée, il remarque combien il est « extraordinaire » qu’ayant attendu tant d’années dans un complet silence, l’intendant du prince ait choisi, pour faire valoir cette prétention, « le moment même où les finances sont accablées du poids d’une guerre infiniment dispendieuse, » et il termine par cette phrase assez dure : « Comme le Roi ne trouve pas mauvais que vous fassiez valoir les droits de Monsieur selon vos lumières, j’espère que Son Altesse Royale ne désapprouvera pas que je discute les intérêts de Sa Majesté selon ma conscience[1]. »

Ni Monsieur, ni Cromot n’étaient des gens à digérer une si verte leçon. L’année d’après, paraissait un libelle où le directeur général était pris à partie avec une odieuse perfidie, toutes ses opérations tournées en ridicule, sa vie même et son caractère diffamés sans vergogne. On en cherchait vainement l’auteur, quand, un certain soir de septembre, dans un café de la capitale, le sieur Cromot, entendant « un particulier » faire l’éloge de cette pièce, avait, comme dit Hardy, « la faiblesse ou l’amour-propre de s’en avouer le rédacteur. » Sur quoi, rapport fait à Necker, plainte adressée par ce dernier, perquisition opérée chez Cromot, à la suite de laquelle on découvrait le brouillon du libelle entièrement écrit de sa main, et ordre du Roi à Monsieur de se priver désormais des services de ce trop

  1. Lettre citée par. M. le comte d’Haussonville dans son Salon de Madame Necker, t. II.