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début, c’est-à-dire au Songe d’une Nuit d’Été, l’un des chefs-d’œuvre délicats de l’invention shakspearienne ?

Te souvient-il de notre extase ancienne ?
— Pourquoi voulez-vous donc qu’il m’en souvienne ?

— Ton cœur bat-il toujours à mon seul nom ?
Toujours vois-tu mon âme en rêve ? — Non.

— Ah ! les beaux jours de bonheur indicible
— Où nous joignions nos bouches ! — C’est possible.

— Qu’il était bleu, le ciel, et grand, l’espoir !
— L’espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.

Ce dialogue si serré, aux questions et réponses entre-croisées, comme deux lames de combat froides, rigides et brillantes, est la mise en valeur d’une amère réflexion de Lysandre. Aux craintes tendres d’Hermia, le mélancolique amoureux ajoute, pour surenchérir, un couplet tout formé de sombres pressentimens. Il énumère les fléaux, dont un suffit pour assiéger et ruiner la sympathie entre deux cœurs qui rêvaient de s’unir par une tendresse éternelle : elle devient « momentanée ainsi qu’un son, rapide comme une ombre, brève comme un songe, fugitive comme, dans la nuit ténébreuse, l’éclair, qui, d’un seul trait capricieux, découvre ciel et terre en même temps, et, avant qu’un homme ait eu le temps de dire : Regardez ! les mâchoires de la tristesse achèvent de la dévorer : tant ce qui resplendit, devient, dans un instant, ombre confuse ! »

Ce n’est pas, on peut bien le croire, mon dessein de diminuer, par ces rapprochemens, l’admiration que les lecteurs de Verlaine doivent avoir pour cette œuvre de jeunesse, la plus fine de forme qu’il ait peut-être produite, et la plus accomplie dans l’art d’associer les mots selon la loi du rythme, de les faire, comme il lui plaît, soupirer ou sourire. Mais, quel que soit le prix des Fêtes galantes, et malgré le pas de géant qui les sépare du recueil antérieur, en les tramant, en les brodant avec des doigts presque aussi exercés, aussi ingénieux et quelquefois aussi subtilement pervers que ceux des serviteurs ailés de Thésée et de Prospero, Verlaine n’est pas arrivé à ce grand résultat de l’art, qui est de produire au grand jour le plus profond de tout son être. C’est toujours son vibrant cerveau de très rusé