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puis, d’un ton sarcastique : « Pour être roi, dit-il, il faut aller à la messe, comme Henri IV. — Sully n’allait pas à la messe, et Sully entrait au Conseil, » lui répliqua vivement Necker, de quoi Maurepas prit texte pour publier partout que Necker se croyait Sully[1]. Cette réponse de Maurepas eut pour effet de blesser fortement Necker. Il y crut démêler plus qu’une impertinence, un conseil déguisé qui ressemblait à une insulte. Plusieurs années après, revenant sur cette entrevue dans une note écrite pour lui-même, il apostrophe Maurepas avec indignation : « Vous qui, bien sûr que je n’y consentirais pas, m’avez proposé de changer de religion pour aplanir les obstacles que vous me prépariez, de quoi m’auriez-vous cru digne après une telle bassesse[2] ! »

Disons d’ailleurs que, sur l’instant et après cette première passe d’armes, Maurepas se garda bien de trop décourager le directeur de l’idée qu’il avait conçue. Augeard, toujours bien renseigné sur les intentions du Mentor, nous dévoile ainsi son calcul : « En vieux routier de Cour, dit-il, il lui laissa enfiler cette route, » se réservant, si Necker insistait et donnait le choix à Louis XVI « entre sa démission et son admission au Conseil, » d’invoquer « les lois du royaume qui interdisaient cet honneur à un étranger et à un protestant. » Ainsi serait-il délivré d’un encombrant collègue « sans s’être donné l’air de l’avoir renvoyé[3]. »

Au sortir de cet entretien, Necker se rendit chez le comte de Mercy-Argenteau, le mit au fait de ses perplexités, renouvela ses affirmations sur sa volonté arrêtée de prendre sa retraite s’il n’obtenait les satisfactions désirées. L’heure présente, ajouta-t-il, semblait « convenable pour se retirer, » parce que les fonds nécessaires pour continuer la guerre étaient assurés pour un an et qu’ainsi « le nouveau ministre aurait tout le temps suffisant pour se procurer des ressources en vue des besoins à venir. » Mercy lui prêcha la patience, le dissuada de rien précipiter et lui conseilla finalement d’aller trouver la Reine. Le conseil fut suivi. Marie-Antoinette, dit Mercy, lui tint le même langage que

  1. Journal de Véri, — Mémoires de Marmontel. — Véri et Marmontel rapportent tous deux ce dialogue presque dans les mêmes termes, le premier d’après Maurepas, le second d’après Necker.
  2. Mémoires de Soulavie, tome IV.
  3. Mémoires d’Augeard.