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jamais songé. Il est encore trop tôt pour juger les conséquences de cette destruction d’organismes que les efforts persévérans d’hommes comme Rockefeller avaient réussi à constituer, et dont l’action était considérable, non seulement aux Etats-Unis, mais au dehors[1]. Il est possible que, au début surtout, il n’y ait point de modification essentielle dans la marche des affaires, les mêmes hommes restant à la tête de l’administration des diverses entreprises. Mais, peu à peu, la dispersion des actions dans le public pourra faciliter l’avènement d’influences étrangères ou même hostiles ; et il est possible qu’à un moment donné l’œuvre longuement et savamment édifiée soit modifiée. L’avenir nous apprendra si le public doit en profiter. En tout cas, les menaces de ce côté paraissent assez sérieuses pour que, d’après la rumeur publique, d’autres trusts songent dus maintenant à entrer d’eux-mêmes en liquidation, sans attendre l’injonction de la Cour suprême.

A côté de la question de l’organisation des entreprises, s’en pose une autre qui n’est pas moins grave, celle des tarifs des chemins de fer. Originairement, le gouvernement fédéral n’avait aucune autorité en la matière. Les concessions, ou plutôt les simples autorisations nécessaires à la construction de voies ferrées, étaient accordées par les Etats particuliers, dépositaires, de par la Constitution, de tous les pouvoirs qui n’ont pas été expressément réservés à la Confédération. La liberté des tarifs n’était limitée que par la concurrence. Celle-ci s’exerça d’ailleurs dans une large mesure ; c’est à elle en partie qu’est dû le développement vertigineux du réseau américain. Après s’être fait la guerre, au point que voyageurs et marchandises étaient parfois transportés à un tarif bien inférieur au prix de revient, les Compagnies se rapprochèrent ; des fusions intervinrent ; des banquiers, comme les Morgan, les Kuhn Loeb, les Speyer et d’autres, firent pour les réseaux de chemins de fer ce qui leur avait réussi pour d’autres industries, et mirent aux mains d’une compagnie-mère les actions ou les obligations de sociétés filiales, exploitées désormais d’après un programme unique. Le gouvernement vit là un danger. Une loi créa la commission interétatiste (Interstate Commission), qui reçut certains pouvoirs

  1. La lutte entre la Standard oil et la Shell transport pour l’empire du pétrole dure depuis 1910 et ne paraît pas à la veille de se terminer. Elle profite aux consommateurs en maintenant le prix de l’huile à un niveau très bas.