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bateau, sur le pommeau de la selle et le bât du chameau. » Mis bout à bout et publiés dans la Revue des Deux Mondes, ces feuillets de route révélèrent aux connaisseurs, un maître accompli. Eugène-Melchior avait, dès cette époque, et portées à un degré véritablement étonnant chez un homme de son âge, les qualités d’artiste visionnaire et réfléchi qu’il conserva intactes jusqu’à son dernier jour : l’élégance nerveuse et fière du style, une précision ferme et sobre dans les descriptions, un don prestigieux d’ouvrir tout à coup d’immenses perspectives et de dégager la haute signification du fait quotidien, de l’incident banal pour tout autre. Le volume intitulé : Syrie, Palestine, Mont-Athos, dans lequel ces articles sont réunis, durera comme le monument de cette précoce maturité. Vogüé lui a donné ce sous-titre : Voyage aux pays du passé, et, dans la lettre-préface à Henri de Pontmartin que j’ai déjà citée, il ajoute à cette formule ce commentaire significatif : « La pratique attentive de l’Orient contemporain a confirmé ma foi dans cette idée : pour l’ensemble de la famille humaine, les phases de l’histoire ne sont pas successives, mais bien plutôt synchroniques. En cherchant judicieusement autour de lui, dans ce vaste monde, l’historien peut toujours trouver, chez les races attardées, les types vivans des sociétés disparues. C’est avec ces élémens que la Science recomposera, un par un, les anneaux qui forment la chaîne de l’histoire et la déroulera sûrement jusqu’à ces origines humaines dont la connaissance peut seule apaiser la grande angoisse de ce siècle. » Telle était la conception que se faisait de la littérature ce jeune homme de vingt-cinq ans. Quand il dit : « l’angoisse de ce siècle, » lisez : « l’angoisse de la France. » De quel accent il parle, dans cette même préface, de « ce pays troublé, affolé de regrets, de craintes et d’espérances ! » Comme on sent frémir en lui le désir de lui apporter un peu de vérité et de lumière ! Le service était là, dans une besogne dont une élite seule est capable, — il se sentait de cette élite, — et non pas dans les chancelleries où beaucoup d’autres pouvaient le remplacer aux postes subordonnés qu’il devrait occuper longtemps encore. Il alla où l’appelait la voix.

Je me rappelle. Au cours de cette soirée chez Mme Adam où je le connus, il me parla longuement d’un essai sur Alexandre Dumas (ils que je venais de publier dans la Nouvelle Revue. Cet article contenait des pages sur l’amour qui inquiétaient