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général vient en tournée d’inspection. Plus de batterie. Il écarquille les yeux, ouvre sa carte, fait des recherches. Mais rien, plus un canon. Les ingénieurs avaient construit leur batterie à la place même où la Marine avait fait son port, et les canons du général de Tourmalin étaient allés rejoindre, au fond de la mer, les pierres du contre-amiral Miron. » Et c’est tout le temps ainsi. La grande pensée du règne est, comme vous le pensez bien, un emprunt. Avec l’argent de cet emprunt, ou du moins avec ce qu’en auront laissé échapper tant de mains avides tendues au passage, qu’est-ce qu’on fera ? Des maisons de détention pour les femmes indigènes, des maisons de correction pour les jeunes détenus, des commissariats de police, un bagne, deux pénitenciers et huit gendarmeries. Après cela, si les indigènes ne sont pas contens !…

Voilà pour l’administration civile, et voici pour l’action militaire. « Muong-Bâ a trois cents hommes à lui, déclare le général : j’en prendrai trois mille avec moi. Je le harcèlerai. Je le traquerai dans ses repaires. Je lui ferai la guerre même qu’il nous fait : à pirate, pirate et demi. J’empoisonnerai l’eau des puits ; je détruirai les récoltes et les bestiaux ; je brûlerai les villages qui donneraient asile à Muong-Bâ. Et quand je reviendrai, je vous apporterai sa tête… » Il apporte en effet la tête du pirate, et, pour cet exploit, reçoit la cravate de commandeur de la Légion d’honneur. Seulement, quelques mois plus tard, l’insurrection reprend de plus belle. Et elle est fomentée par qui ? par Muong-Bâ lui-même, qui ressuscite, autant qu’on peut ressusciter quand on n’était pas mort. Tels sont les succès de nos armes aux colonies. Telle est la guerre, comme nous la savons faire : sauvage et impuissante, atroce et risible.

C’est déjà un sujet bien vaste et, semble-t-il, peu approprié aux conditions du théâtre, que l’étude de notre politique coloniale. Mais M. Emile Fabre est de ceux qui aiment à élever le débat et élargir la question. Au troisième acte, il pose dans toute son ampleur le problème philosophique. La civilisation crée-t-elle un droit en faveur des races parvenues à un degré de culture plus avancé ? Ou le droit d’un peuple, même barbare, à s’administrer lui-même, prime-t-il tous les autres ? Les deux thèses s’entre-choquent, et, comme il convient en pareil cas, l’auteur laisse le débat indécis.

Mais nous ne tardons pas à savoir de quel côté inclinent toutes ses sympathies. Car nous sommes très fiers de notre civilisation ; mais écoutez ce qu’en pensent ceux à qui nous prétendons en appliquer les bienfaits. Dong Hoï a fait un voyage en France, comme jadis le