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jeune Anacharsis en fît un en Grèce. Ses compatriotes lui demandent quelles impressions il a rapportées de son séjour parmi nous et ce que sont les Français. « Des barbares, » répond-il, sans hésitation. Et il développe cette opinion avec abondance : « Ils se croient des civilisés, parce qu’ils ont des canons et des fusils, des télégraphes, des téléphones, des machines qui roulent sur la terre ou volent dans le ciel ; mais nous savons, et nos livres sacrés nous rapprennent, que la civilisation n’est pas dans les conquêtes de la science : elle est où est la pureté des mœurs, la bonté et la bienveillance réciproques, la charité universelle… Ils m’ont mené dans une vaste salle où délibèrent leurs mandarins, et je les ai vus qui s’injuriaient entre eux comme nos conducteurs de buffles… J’ai assisté à la fête du travail que leurs ouvriers célèbrent chaque année à l’époque où les fleurs éclosent, et pour cette fête j’ai vu comme un vent de terreur qui passait sur la ville, les rues désertes, les fenêtres, les portes verrouillées et des gardes à cheval qui recevaient, des ouvriers en fête, des coups de pierres, et leur rendaient des coups de sabre. » Et j’accorde volontiers que ni le ton de nos débats parlementaires, ni les rites de notre premier mai ne sont pour rehausser beaucoup notre prestige aux yeux de nos administrés… Le couplet est ingénieux, sans d’ailleurs prétendre à la nouveauté. Ce sont d’agréables variations sur un thème connu : Dong Hoï s’est appelé le Paysan du Danube, le Huron, et de plusieurs autres noms encore.

En regard de notre barbarie, M. Fabre a mis le tableau de la véritable civilisation, qui est celle des Tmères, c’est-à-dire des Annamites, des Cochinchinois, des Tonkinois, des Zoulous et de quelques anthropophages. Dans leurs assemblées, les délibérations se déroulent au milieu d’un calme édifiant. Leur dévouement à la chose commune est sans réserve et sans ostentation. Autant que le culte de la patrie, ils ont celui de la famille. Et chez eux les maris trompés prennent tout de suite une figure de héros qu’ils ont rarement en pays gaulois. — Après ce diptyque, on pourrait dire que la pièce est terminée, s’il n’était plus exact qu’elle commence. A tant de dissertations il n’était pas mauvais en effet de joindre un peu d’action. Mais nous n’aurons pas perdu pour attendre. Songez qu’une révolte vient d’éclater et que les Français sont cernés dans le palais du gouverneur. Il y a des morts et des mourans. Tout s’achève dans de grands "mouvemens de foule, où je m’obstine à ne voir qu’un artifice de figuration. Et le vain bruit des paroles est couvert par la grande voix du canon.